•  


     

    Rastafari : les racines


     


     


     

    Comme surgis d'un album de Corto Maltese, les mystérieux Rastafariens et leurs nattes hirsutes se répandent un peu plus chaque jour dans les rues du monde entier. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Cette histoire de Rastafari, ça raconte quoi exactement ?

    Bob Marley répond:
    "Ma direction, mon but ultime, c'est l'unité de l'Afrique. Quand ce sera arrivé, les gens regarderont en arrière et ils se diront qu'il y avait quelque chose dans tout ce truc. Je suis avant tout un Rasta, et c'est une chose qui vient d'Afrique. Je suis arrivé en Jamaïque à la suite de l'esclavage mais ma place au fond est en Afrique. La
    Jamaïque appartient aux indiens Arawak, qui ont été tués jusqu'au dernier par Christophe Colomb et ses guerriers. Mon but est d'apporter quelque chose aux gens. Le reste je m'en fous. Si je réussis, c'est parce que je me bats pour la vérité. Je ne me laisse pas intimider. Je ne mourrai pas comme ça. Une fois j'ai été durement touché par des balles dans un attentat. Quelques jours avant cette attaque qui a failli ma coûter la vie, j'ai fait un rêve prémonitoire, puisque j'étais pris sous le feu d'une embuscade. Ma mère prenait une balle dans la tête. Une voix me disait de ne pas fuir, et de tenir tête aux assaillants. Alors bien sûr, quand on m'a vraiment attaqué trois jours après, cette vision m'est venue à l'esprit immédiatement ! Je me souviens juste qu'il ne fallait pas que je me mette à courir.

    " Pour comprendre un minimum le reggae, qui diffuse très souvent des messages rastas, il faut carrément remonter aux Hébreux, aux pyramides d'Égypte."

    Et même avant.

    Car en Jamaïque, presque tout fait référence à la Bible. Le mouvement rastafarien est profondément révolutionnaire, car il refuse fondamentalement toute l'organisation de la société "païenne" de Babylone en commençant par réviser l'interprétation établie de la Bible. En faisant rimer "révélation" avec "révolution", Bob Marley chantait "il faut une révolution pour faire une solution" dans son manifeste Revolution de 1974 et "Rasta ne travaille pas pour la CIA" dans Rat Race la même année. Les Rastas puisent leur culture dans l'histoire d'Afrique, à commencer par celle, fascinante, de l'Éthiopie. Héritiers des Griots d'Afrique de l'ouest, les Jamaïcains chantent leurs réflexions sur la vie de tous les jours, mais aussi sur l'Histoire, qu'ils transmettent oralement. Spontanément, ils improvisent ou écrivent au premier degré des commentaires sociaux sur l'actualité, la société, l'histoire. Tel est le contenu du reggae. Ainsi les Rastas remettent en question l'interprétation occidentale, "coloniale" de la Bible. Ce qui est pour le moins subversif dans une société jamaïcaine où la religion chrétienne est partout. Marley le martelle tout au long de son œuvre, qui reste mal comprise tellement la revendication rasta est radicale :

    "Prêtre ne me dis pas
    Que le paradis est sous la terre
    Je sais que tu ne sais pas
    Ce que la vie vaut vraiment
    Tout ce qui brille n'est pas or
    La moitié de l'histoire n'a jamais été racontée
    Et maintenant tu vois la lumière
    /Hey ! Tu te lèves pour obtenir ce à quoi tu as droit
    "
    (
    Get Up Stand Up, 1973)

    À travers leur obsession pour la Bible, point central de la culture jamaïcaine, les Rastafariens veulent faire connaître l'histoire d'Afrique, incroyablement méconnue aujourd'hui encore. Ils révisent ainsi des millénaires d'histoire, et comptent bien que leur vision afrocentriste de la culture judéo-chrétienne toute entière soit entendue de tous. Une histoire fabuleuse.


     

     

    Les Hébreux et l'Éthiopie

    Jadis, bien avant que Jésus-Christ ne fasse son apparition, les Hébreux étaient répandus dans toute la vallée du Nil, de la Méditerranée au nord de l'Abyssinie. Ils étaient très présents dans la société égyptienne antique, et particulièrement dans la région de Goschen à partir de 1900 avant JC environ. Gouverneur du pays kouchite (nord de l'Ethiopie) au service du pharaon, Moïse passe quarante ans en Afrique noire, ce qui éclaire d'une lumière historique les chansons rastafariennes qui clament unanimement que "Moïse était un dreadlock". Réduits entretemps en esclavage, les Hébreux en ont assez de l'oppression égyptienne. Et vers 1500 avant Jésus Christ, armés de la Tora (l'ancien testament) ils fuient l'Égypte. Le Talmud indique qu'ils ne sont "ni blancs ni noirs" mais sans doute entre les deux. La Bible raconte cet exil, un périple où Moïse les mène jusqu'à la terre promise d'Israël (Prince Far I, Moses Moses, 1978).


     

     

    Les Aventuriers de l'Arche Perdue

    Le roi David conquit plus de quatre cents ans plus tard le mont Sion de Jérusalem. Mais sur la route de l'exil, en apparaissant sur le mont Sinaï, l'histoire raconte que Dieu confie à Moïse les dix commandements gravés dans la pierre. Moïse range les précieuses tables de la loi dans un coffre à brancards. On peut bien sûr lire dans la Bible que le troisième roi d'Israël, le sage Salomon, fait construire le Temple de Jérusalem (il n'en reste aujourd'hui que le mur des Lamentations) pour y placer le tabernacle, et y planque l'arche ultra-hyper-sacrée. La marque de la main de Dieu en personne, pensait-il. Bientôt, Makeda, la reine de Saba venue d'Abyssinie (ou du Yémen ?) a un enfant avec Salomon. Et après avoir fait ses études auprès de son père, leur fils Ménélik devient Ménélik Ier, roi d'Abyssinie.

    Quittons la Bible deux minutes pour jeter un œil sur le Kebra Nagast ("Gloire Des Rois"), un livre de littérature éthiopienne, aussi sacré qu'antique, qui retrace la saga de toute la dynastie salomonique. On apprend dans ce vénérable bouquin que l'héritier de Salomon, le prince Ménélik, aurait quitté Sion et qu'au passage il aurait carrément embarqué l'arche contenant les fameuses tables de la loi. Salomon aurait confié à Ménélik une réplique de l'arche pour qu'il l'emporte avec lui. Et ce dernier aurait échangé la réplique contre la vraie au dernier moment. Et ce bien sûr à l'insu des prêtres restés à Jérusalem. En arrivant en Ethiopie, Menelik fait du Dieu des Hébreux le Dieu officiel de l'Ethiopie : Saba. Il hébraïse le nord de l'Abyssinie entre 950 et 900 avant JC. C'est à cette époque qu'apparaîssent les Beta Israël, ces fameux Hébreux d'Ethiopie (la tribu de Dan ?) mieux connus sous le nom péjoratif de "Falashas" (appellation de "vagabonds" qu'ils récusent), les fameux Juifs noirs qui ont été sauvés de la famine dans les années 1980 en émigrant en catastrophe en Israël.

    Certains rois aussi étaient tout noirs. Comme par exemple Moutoueshat, un pharaon de la XXVème dynastie, venue d'Abyssinie entre 751 et 656 avant JC.

    C'est ainsi que la tradition éthiopienne considère que l'arche mythique est restée cachée depuis dans la région d'Axoum, au cœur des haut-plateaux éthiopiens, en Afrique noire. Le symbole de cent civilisations, que chante Cedric Myton dans Ark Of The Covenant, produit par Lee "Scratch" Perry pour l'album chef-d'œuvre "Heart Of The Congos" :

    "every morning the black sun rises
    it shines
    out of the Ark Of The Covenant
    "

    C'est encore pour cette raison que Lee "Scratch" Perry a appelé en 1973 son mythique studio le Black Ark, "l'Arche Noire". La plupart des Rastas jamaïcains, rarement experts en géographie, situent la terre promise de Sion ("Zion") sans vraiment faire de différence entre Jérusalem et Axoum, au nord-est de l'Abyssinie où se trouverait l'arche. Mais ils font confiance à l'histoire officielle éthiopienne et beaucoup sont persuadés que la Bible a été censurée pour cacher le rôle des Noirs. Beaucoup estiment que Moïse, Jésus et plusieurs tribus hébraïques étaient noires africaines.

    Quant aux descendants de Salomon, Makéda de Saba, et de leur fils Ménélik Ier, leur dynastie a perduré plusieurs millénaires en Abyssinie, alimentée par ce mythe fondateur de l'arche qui consacre -et comment- leur droit divin. La Bible se réfère d'ailleurs à l'Afrique noire toute entière par le terme d'Ethiopie, un mot qui désigne aujourd'hui un pays englobant toute la région de l'Abyssinie, le pays kouchite de la Bible.

    Chris Blackwell, fondateur des disques Island et Trojan, est le Jamaïcain blanc qui a lancé le reggae dans le monde. Extraordinaire découvreur de talents, féroce homme d'affaires, en investissant sur Bob Marley, dont il fut longtemps le producteur, il est devenu milliardaire. Et c'est avec son accent d'aristocrate anglais qu'il explique ceci :

    - "La véritable question en ce qui concerne Haïlé Sélassié et la religion rasta est qu'en occident, pour toutes les religions, qu'elles soient catholique ou autre, quand tu entres dans une église et que tu vois un crucifix, l'homme qui est dessus est blanc. Donc, au fond, Dieu était blanc. Tous les Noirs qui sont arrivés au nouveau monde y sont venus en tant qu'esclaves, donc ils n'avaient aucune connaissance de l'histoire. Pour eux, tout était blanc. Je pense que l'importance de Haïlé Sélassié, c'est qu'il était un descendant direct de Salomon et de la reine de Saba. Pourtant les rares fois où tu les voyais c'était quand des Blancs comme Jean Simmons ou Victor Mature jouaient leur rôle dans un péplum à Hollywood ("L'Egyptien", de Michaël Curtis en 1953). Tout le monde croyait donc que Salomon et Saba étaient blancs. Je crois qu'aujourd'hui de plus en plus de gens réalisent que ces vedettes de la bible n'étaient pas des Blancs. Qu'ils étaient des gens de couleur. Je pense que ce genre de choses sont très importantes pour les Noirs qui vivent en Occident. Car on n'enseigne pas cette histoire-là à l'école. On y apprend jamais l'histoire de l'Afrique."

    - Quelle importance cette histoire a-t-elle pour les Européens, et pour toi, en tant que personnage-clé blanc dans cette révélation rasta ?

    - "Je pense que c'est très important parce que c'est quelque chose qui je pense aide les Blancs en Occident à apprécier l'histoire du peuple noir au lieu de ne pas reconnaître qu'il a une histoire, au lieu de... ne même pas penser qu'il a une histoire. Au lieu de penser que l'Afrique n'est qu'une jungle qui a donné ces peuples. C'est vraiment très important. Et donc plus on va en parler mieux c'est, parce qu'on n'en parle pas beaucoup au grand public. Les gens ne connaissent encore aujourd'hui qu'une partie infime de l'histoire des Noirs."

     

    La dynastie du roi Salomon

    Encore dans la Bible, on trouve (2 Chroniques 14) les traces d'une invasion kouchite (abyssinienne) en Palestine cinquante ans après le règne de Salomon. Selon le voeu des Nazaréens (Nombres 6-5), les Juifs de la région laissaient pousser leurs cheveux (le "Tu ne passeras pas de lame sur les coins de ton visage" qui fait porter des papillottes aux Juifs orthodoxes), un signe d'appartenance à cette secte en quelque sorte. En poussant, les cheveux crépus s'emmêlent et forment naturellement des mèches ("locks"), des nœuds ("knot"). C'est pour suivre le vœu des Nazaréens que près de deux millénaires plus tard les Rastas se laissent pousser les cheveux, où se forment leurs nattes, qui "font peur" ("dread" = épouvante), les "dreadlocks" caractéristiques.

    C'est ce que racontera par exemple Dillinger (prononcer Dillin'JAH !) vers 1976 dans son King Paraoh Was a Bald Head. Il y chante que "Jésus et Moïse portaient des dreadlocks", tout comme "Samson, qui y puisait sa force" divine. Les cruels pharaons, eux, se coupaient bien sûr les cheveux. Ils étaient donc des "bald heads" (chauves) que chantait Marley dans son Crazy Bald Head : "On va chasser ces fous chauves hors de la ville". Ces chauves étaient donc des païens ("heathen"), d'où "Heathen", titre du morceau de Marley :

    "les païens ont le dos au mur
    Levez-vous combattants blessés
    Car celui qui se bat et fuit
    Vivra pour se battre un autre jour
    ".

    Quelques siècles après la mort de Jésus-Christ, certains voient en Jésus l'incarnation de Dieu sur terre et, en pleine décadence de l'empire romain, la religion chrétienne se répand comme une trainée de poudre. La propagation de la religion chrétienne en Éthiopie remonte sans doute à l'an 330, où deux jeunes chrétiens de Tyr naufragés en mer Rouge, Frumentius et Ædisius, sont capturés et vendus au roi d'Abyssinie. En fin de compte, Frumentius deviendra tuteur du prince, qui adopte la religion chrétienne. C'est sans doute comme ça que l'Abyssinie devient la première nation officiellement chrétienne du monde, avant Rome (l'empereur Constantin en 337). Le successeur décide d'ailleurs illico de persécuter ces maudits Juifs, puisqu'ils ne veulent pas (et ne voudront jamais) admettre que Jésus était le messie, c'est à dire Dieu sous des traits humains, préférant de Dieu une vision infinie et sans image. L'orthodoxie chrétienne d'Éthiopie, à ne pas confondre avec l'orthodoxie russe/grecque apparue au IXème siècle, reste intacte à travers les siècles. Le peuple copte la répand en Égypte et en Abyssinie, où le roi était considéré comme étant le troisième élément de la Trinité, l'incarnation vivante de Jésus Christ sur terre en quelque sorte. Les monophysites d'Abyssiniens n'avaient pas que des amis, et les schismes ont été bon train à cette époque. Les macédonianistes, par exemple, niaient carrément la divinité du St-Esprit (ça leur a coûté cher) et les Nestoriens, eux, considéraient que la nature humaine et la nature divine, c'était pas du tout la même chose (Jésus est le messie mais pas Dieu). Les Chrétiens étaient cependant tous d'accord sur une chose : il fallait réduire les Juifs blasphématoires au silence.

    Par la suite, avec l'expansion de l'islam au moyen-âge l'Abyssinie a été cernée par des hordes d'Arabes en guerre sainte, mais malgré des tas de batailles elle est restée chrétienne envers et contre tout. Au douzième siècle, la dynastie Zagwé locale a quand même pris le pouvoir pendant environ un siècle et demi. Mais avec l'aide du "Kébra Nagast" , le fameux livre sacré de la dynastie de Salomon, les Salomonides ont été restaurés vers 1270.

    L'esclavage

    L'Afrique toute entière, et les rivages de la mer Rouge en particulier, ont longtemps été le théâtre d'un esclavage institutionnalisé qui ne fait toujours pas mine de disparaître. L'Abyssinie n'a pas échappé à la règle. La société féodale du coin a puisé ses serfs dans les réserves humaines des vallées primitives à l'ouest du pays pendant des siècles. Mais au XVIème siècle, les Européens ont commencé à intensifier leurs achats d'esclaves. Ils se fournissaient surtout à l'ouest du continent, auprès des tribus esclavagistes des côtes. La traite des Noirs s'est développée du Sénégal à l'Angola actuels, et particulièrement sur les rivages qui portent le doux nom de Côte des Esclaves, au Nigéria, au Bénin, au Togo et au Ghana actuels, où la savane domine. Des membres des tribus Ewe, Fon, Ibo, Akan, Ga-Adangmé, Yoruba, Ashanti, "Kromanti" notamment ont ainsi été déportés par millions. Ils ont été mélangés à des Bantous venus du Congo et d'Angola et à des déportés originaires des forêts qui s'étendent à l'est de la Guinée et du Cameroun jusqu'au cœur de l'Afrique équatoriale. La seule résistance possible était la sauvegarde individuelle de leurs cultures désormais prohibées.

    La Jamaïque était un des principaux marchés aux esclaves du nouveau monde. Les lucratives plantations de canne à sucre nécessitaient beaucoup de main d'œuvre, et bientôt les négriers blancs ont eux-mêmes organisé d'ignobles raffles et chasses à l'homme en Afrique de l'ouest. Ce tragique épisode, le plus souvent refoulé par les Antillais du vingtième siècle qui préfèrent oublier, sera rappelé avec force par des Rastas comme Peter Tosh , Bob Marley ou Burning Spear (Slavery Days, 1975). Les tambours et les langues africaines étaient interdits en Amérique, comme tout ce qui pouvait inciter à l'unité et à la révolte des prisonniers. Les seules musiques autorisées étaient d'origine française, espagnole, et naturellement avant tout britannique et irlandaise dans la colonie anglaise de Jamaïque.

    Outre sa chrétienté historique si unique, l'Éthiopie est le seul pays d'Afrique noire à posséder une langue écrite, l'amharique, qui est dérivé du ghèze liturgique traditionnel. La culture d'Afrique de l'ouest est donc exclusivement orale, et le désarroi des travailleurs forcés était total. Mais leur déracinement absolu n'a pas empêché, comme en Guyane, à Haïti ou en Louisiane, que les rythmes au cœur de l'identité des tribus, des villages, ne se transmettent à l'insu des maîtres. Véritables cartes d'identité, ces rythmes étaient souvent à la base des chants des griots, des initiés, des conteurs chargés de transmettre l'histoire, la langue, les légendes et les anecdotes sur lesquelles se greffaient souvent des mélodies. Certains des traits les plus marquants des cultures africaines, comme les chants avec appel et réponse des chœurs (ou du public) ou la participation active du public ont ainsi tant bien que mal traversé les siècles aux Antilles. Et à force d'être opprimés, les Noirs ont aussi développé des langues à double sens que ne comprenaient pas les maîtres redoutés.
    On la retrouve dans toutes les cultures afro-américaines, du calypso des carnavals de Trinidad au blues du Mississippi, jusqu'au rock and roll de Little Richard ou Bo Diddley que reprendront Elvis Presley et autres Rolling Stones.

     

     

     

     

     

     

     

     

    JAH RASTAFARI

     

     

     

     

     

    Descendant, de la reine de Saba et du roi Salomon, dont il est le deux cent vingt-cinquième successeur, l’empereur d’Éthiopie Hailé Sélassié Ier (ou Haïla Sellassié) est à la tête de la plus ancienne dynastie du monde. Son titre complet est négus («roi des rois»), lion de Juda, défenseur de la foi chrétienne, force de la Trinité, élu de Dieu. Fils du Ras Makonnen, il a reçu pour nom à sa naissance celui de Ras Tafarí Makonnen (Tafarí : Celui qui est redouté) ; il est, en outre, le neveu de l’empereur Ménélik II, qui, au cours de son règne, commencé en 1889 et achevé à sa mort en 1913, accomplit les premiers pas vers la création d’un État unifié et moderne.

    Très tôt, le futur empereur s’initie aux responsabilités du pouvoir. Il a treize ans, en 1905, lorsque son oncle lui confie le gouvernement de la province du Gura Muleta. Sa volonté de fer, sa passion pour l’étude (il a été élève des missionnaires français) l’aident à surmonter les difficultés que lui suscite son cousin Lij Yassou ; celui-ci, héritier présomptif, complote avec l’Allemagne contre le pouvoir central. Mais il est bientôt écarté : en septembre 1916, c’est le ras Tafarí qui devient prince héritier. Il aide l’impératrice Zaouditou, sa tante, à administrer le pays (qu’on appelait alors plutôt l’Abyssinie). Considérant que «l’Éthiopie a reçu l’évangile du Christ en même temps que les nations d’Occident», le prince héritier plaide à Genève, en 1923, la cause de son pays. Il y déclare que, «si les hasards de la géographie et de l’histoire l’ont isolé du monde occidental pendant des siècles, il est cependant sensible à ses valeurs et entend remplir les mêmes devoirs à l’égard de la communauté internationale». Il obtient ainsi l’admission de l’Éthiopie à la Société des Nations et décide d’y abolir l’esclavage.


    Proclamé négus, en octobre 1928, sous le nom de Hailé Sélassié (force de la Trinité), il est couronné empereur à la mort de l’impératrice, le 2 novembre 1930, date devenue, depuis lors, jour de fête nationale. Il donne peu après au pays sa première Constitution écrite ; cette modernisation des institutions s’effectue toutefois avec prudence. Il n’hésite pas à solliciter, au fil des années, l’appui technique et financier de l’étranger. Lorsqu’en octobre 1935 le gouvernement de Mussolini décide d’envahir l’Éthiopie à partir de l’Érythrée et de la Somalie, l’empereur oppose une héroïque résistance à la tête de ses troupes. Mais il est desservi par un armement inférieur et la collaboration de certains seigneurs avec les Italiens. Il décide alors, en accord avec le Conseil des ministres et après avoir nommé un vice-roi (le ras Imrou), de s’expatrier ; en mai 1936, il se retire à Bath, en Grande-Bretagne. La même année, le 28 juin, il lance le fameux appel à la sécurité collective depuis la tribune de la S.D.N. à Genève, appel qui ne sera pas entendu (les sanctions contre l’Italie seront levées). Il entreprend quelques années plus tard la libération de l’Éthiopie : après avoir rallié les Éthiopiens réfugiés au Kenya et au Soudan, il vient à Khartoum en juillet 1940 (l’Italie vient de déclarer la guerre aux Alliés) et assure la liaison entre ses troupes et l’armée anglaise ; le 5 mai 1941, il fait une entrée triomphale dans sa capitale libérée par les brigades anglo-indiennes avec l’appui des Forces françaises libres.

    Dans son pays recouvré, Hailé Sélassié trouve tout à reconstruire, alors que l’élite éthiopienne a été décimée par l’occupation. Poursuivant inlassablement la mission qu’il s’était assignée alors qu’il était jeune prince, il entreprend de nombreux voyages à l’étranger. Devenu la figure de proue des pays opprimés, puis du Tiers Monde et de l’Afrique en particulier (l’Organisation de l’unité africaine créée en 1963, sur son initiative, a son siège à Addis-Abeba), Hailé Sélassié travaille sans relâche à parfaire et à affermir l’unité de l’Éthiopie (incorporation de l’Érythrée, consécutive à un vote unanime du Parlement de ce pays en novembre 1962 ; visées pacifiques sur le Territoire français des Afars et des Issas). Mais il a encore à faire face à de nombreuses difficultés.

    Si sa photographie et son nom sont partout dans le pays, si, même aux yeux de ses adversaires, il a conservé un grand prestige, l’empereur doit lutter contre l’aristocratie et le clergé pour leur faire accepter des innovations qui répugnent à leurs habitudes. Il réussit, certes, à centraliser entre ses mains le pouvoir, mais les propriétaires fonciers (dont il est matériellement solidaire) et l’Église restent les principaux obstacles aux initiatives de réforme qu’à son grand âge il pourrait encore décider.

    L’unité éthiopienne se trouve menacée par le Front de libération de l’Érythrée, qui dispute depuis 1961 la souveraineté à l’empereur. Celui-ci n’est certes pas prêt de renoncer à cette province du littoral, seule porte dont l’Éthiopie dispose pour ses échanges avec le monde extérieur. En dépit de toutes ces difficultés, Hailé Sélassié, dont le prestige international reste grand, s’est estimé capable, bien qu’octogénaire, de tenir encore longtemps la barre de son pays.

    En septembre 1974, l’empereur est destitué par des soldats et des sous-officiers. Il est assassiné par les rebelles le 27 août 1975.

     

     

     

     

     

    Le Rastafarisme

     

    La Jamaïque fut colonisée par l’Espagne au début du XVe siècle, puis, après le déclin rapide de la population indienne, des esclaves d’origine africaine furent massivement importés. En 1655, les Britanniques dépossédèrent les Espagnols de la Jamaïque qui y laissèrent leurs esclaves. Ceux-ci furent appelés "Marroons". Le terme "Marroon" prit la signification de "fier et sauvage" au fil du temps. Ainsi, les "Marroons" se dressèrent contre la domination britannique et menèrent une lutte acharnée.

    La lutte des "Marroons" ne doit pas être assimilée à une simple révolte d’esclaves. Sa durée dénote une volonté profonde de ne pas se plier à l’esclavage lié à la forte cohésion ethnique des rebelles. Les leaders venaient en effet d’une même tribu ghanéenne et le mouvement tenait donc à affirmer son identité africaine et son indépendance.

    Des formes de rébellion apparaissent et caractérisent la volonté de revendiquer une plus grande liberté à l’image de la "Sam Sharpe Rebellion" en 1831. Cette révolte menée par l’esclave Samuel Sharpe s’inscrit dans un contexte critique pour la population noire. En effet, ceux-ci commençaient à se rendre compte de leur situation socio-économique : les esclaves haïtiens étaient libres depuis 1815.

    Sam Sharpe était parmi les plus instruits et possédait une puissante influence charismatique. C’est en 1831 qu’il décide de prendre le commandement d’une grande rébellion qui devait conduire à l’abolition de l’esclavage.

    La rébellion débuta à la fin du mois de décembre à Montego Bay, une baie située au Nord-Ouest de la Jamaïque. Elle s’étendit rapidement à tout l’ouest du territoire et poussa les colons à la fuite. Au début de 1832, la loi martiale fut déclarée et des renforts de troupe envoyés. La révolte fut alors écrasée en quelques mois et Sam Sharpe exécuté à la fin du mois de mai. Ce combat conduisit tout de même à l’abolition de l’esclavage en 1834.

    Mais en 1865 un nouveau vent de révolte souffle sur la Jamaïque c’est la "Morant Bay Rebellion". Cette rébellion se caractérise par des causes directement liées à la révolte des "Marroons" dont la majorité étaient devenue planteurs après la fin de leur rébellion. Elle trouve d’autres fondements dans la situation des anciens esclaves, eux aussi en grande partie devenus agriculteurs. Or les inégalités subsistaient bien qu’ils fussent apparemment libres : mauvaise répartition des revenus, racisme envers les planteurs noirs.

    La rébellion prend forme et à l’automne 1865 elle explose à Morant Bay, au sud-ouest de l’île sous la direction de Paul Bogle. Mais le scénario de la "Sam Sharpe Rebellion" se répète : plusieurs centaines de paysans occupent des terres mais la révolte est rapidement matée et Paul Bogle pendu.

    C’est à travers des révoltes comme celles de "Sam Sharpe" ou de "Morant Bay" que s’est forgée la tradition de résistance à l’autorité du peuple jamaïcain que l’on retrouve dans le rastafarisme.

    La religion venue des Etats-Unis à travers des églises baptistes qui se sont implantées autour du milieu du XIXe siècle, ainsi le "Great Revival" a rapidement intériorisé les formes de religions d’origine africaine et est ainsi devenu un culte syncrétique (fusion de plusieurs doctrines) mélangeant christianisme et diverses autres pratiques.
    Les passages de la Bible sur l’Afrique et l’Ethiopie sont nombreux et peu à peu, à la lecture des textes sacrés, les regards se tournent naturellement vers l’Ethiopie : le rastafarisme est naissant.

    Le déclencheur de l’érection de l’Ethiopie en "Terre promise" est l’homme politique d’origine jamaïcaine Marcus Garvey qui dans un discours prononcé en 1916 avant son départ pour les Etats-Unis, prophétise l’accession au trône de Haïlé Sélassié Ier en évoquant le psaume 68 :

    « Des grands viennent d'Egypte et d'Ethiopie les mains tendues vers Dieu. Royaumes de la terre, chantez 0 Dieu, Célébrez le Seigneur! - Pause. Chantez à celui qui s'avance dans les cieux, les cieux éternels ! Voici, il fait entendre sa voix, sa voix puissante. Rendez gloire à Dieu ! Sa majesté est sur Israël, et sa force dans les cieux. De ton sanctuaire, ô Dieu! tu es redoutable. Le Dieu d'Israël donne à son peuple la force et la puissance. Béni soit Dieu ! »

    Haïlé Sélassié, Roi des Rois, Seigneur des Seigneurs, descendant du Roi David et donc de Dieu est ainsi annoncé en 1916 par Marcus Garvey. Haïlé Sélassié est proclamé négus en octobre 1928. Un autre fragment du discours de Garvey en 1916 le laisse aussi entrevoir : "Cherchez en Afrique le couronnement d’un roi noir, il pourrait être le Rédempteur."
    Le rastafarisme est avant tout une religion qui se caractérise par ses nombreux emprunts au christianisme auxquels sont ajoutés une mise en valeur de l’Afrique et particulièrement de l’Ethiopie considérée comme la terre promise et donc lieu de rapatriement de tous les rastafaris. C’est un culte messianique dont le centre est l’Empereur d’Ethiopie Haïlé Sélassié : la dernière réincarnation de Dieu sur Terre. Le prophète principal est Marcus Garvey, dont le second prénom, Mosiah, fait référence à Moïse, le prophète libérateur des Hébreux.

     

    Dans les années 30, le rastafarisme était encore peu connu mais le rôle de Marcus Garvey dans l’émancipation des Noirs d’Amérique a été majeur.
    L’Universal Negro Improvement Association (UNIA) est une organisation créée en 1914 en Jamaïque par Marcus Garvey et dont la devise était : "Un Dieu ! Un but ! Une destinée !". Ce mouvement s’est considérablement développé aux Etats-Unis après l’émigration de Garvey en 1916. En effet, en 1919, l’UNIA ne comptait pas moins de 30 branches dans différentes villes des Etats-Unis. Garvey affirmait avoir plus de 200000 membres. Il fonda également un organe de presse nommé The Negro World, dans lequel il déclara : "l’Afrique doit être vénérée et nous devons tous sacrifier, notre humanité, notre richesse et notre sang à sa cause sacrée."

    En valorisant la "négritude",
    Garvey a contribué à l’affirmation des noirs dans toute l’Amérique, au même titre que Martin Luther King ou  Malcom X.  Les conférences de l’UNIA de 1919 à 1922 connurent des grands succès populaires. Elles débouchèrent sur la création de firmes industrielles tenues exclusivement par des noirs et d’une compagnie de construction navale et de navigation réservées elles aussi aux noirs.
    A son retour en Jamaïque en 1927, il fut accueilli en véritable libérateur et tint une conférence de l’UNIA pour la première fois en Jamaïque en 1929.
    Son impact fut double : tout d’abord, son importance fit prendre conscience aux rastafaris de l’étendue de la lutte des noirs en Amérique pour s’affirmer et revendiquer des droits et plus de liberté ; ainsi, une autre solution que celle du rapatriement en Ethiopie apparaissait, même si cette idée n’allait vraiment se développer qu’au long des années 1950. La seconde conséquence de cette conférence fut de faire connaître Marcus Garvey à un grand nombre de jamaïcains et donc de contribuer à l’élaboration et à l’intégration de ses idées dans le rastafarisme.


    Ses thèses principales se définissent selon deux orientations :
    - La première, voir en l’Afrique la patrie de tous les noirs immigrés. Loin d’être un défenseur du rapatriement, Marcus Garvey a cherché à renouer des liens avec l’Afrique et à mettre l’accent sur la richesse de la civilisation africaine.
    - La seconde orientation principale des thèses de Marcus Garvey est la religion. Dans ce domaine aussi, il tient à rattacher le plus possible la Bible à l’Afrique, dans le but d’enlever aux blancs le monopole de l’enseignement religieux et pour donner à ses auditeurs le sentiment d’appartenir à un peuple élu et donc au-dessus de la domination des blancs.

    Marcus Garvey avait prophétisé le couronnement de Haïlé Sélassié, il devint ainsi le prophète de tous les rastafaris. Des thèses de Garvey sont intégrées à l’idéologie rastafari comme de saints commandements, tels l’affirmation des noirs par la revendication, la vénération de l’Ethiopie.
    Le mode de vie rastafari se veut respectueux des principes définis par la Bible. L’apparence extérieure des rastas le prouve. La majorité porte des nattes et une barbe. Dans la Bible, il est dit : Lévitique, 21:5 :"[…]les prêtres ne doivent pas se faire de tonsure, ni se raser la barbe sur les côtés, ni se faire des entailles sur le corps."

    Mais si certains rastafaris arborent des nattes (appelées dreadlocks) impressionnantes, il n’est pas rare de voir des rastafaris rasés. En outre, la Bible précise que cette coutume n’est obligatoire qu’en cas de deuil. Une autre justification de ces nattes est la volonté d’imiter les guerriers éthiopiens des siècles passés qui se caractérisaient
    par leur coiffure imposante du fait de leurs nattes tressées comme pour symboliser un casque.

    La sacralisation de l’Herbe est un point important de l’idéologie rastafari. La Ganja n’est utilisée que dans la pratique religieuse. On en trouve une justification biblique dans La Genèse : 3:18: "you shall eat the herb of the field" , mais aussi dans les Psaumes: 104:14: "C’est toi qui fait pousser l’herbe pour le bétail, et les plantes que les hommes cultivent ". Ou encore les Psaumes, 18:9 : "Une fumée montait de ses narines […]" Apocalypse, 22:2 : "[…] Ses feuilles [de l’arbre de la vie] servent à la guérison des nations."

    La visite de Haïlé Sélassié en 1966 est décisive dans le changement de cap de l’idéologie rastafari. En effet, les principes du rapatriement et du rejet de la Babylone jamaïcaine y restaient ancrés. Bien qu’elles ne fussent plus au premier plan dans les années 1960, des tentatives de rapatriement avaient été tentées jusqu’à la fin des années 1950. La visite de l’empereur d’Ethiopie en avril 1966 se solda par une dernière tentative de rapatriement. Mais ce n’était plus qu’un combat d’arrière-garde.
    Haïlé Sélassié dans un discours devant plus 10.000 adeptes proposa aux rastafaris : "la libération avant le rapatriement". Cela signifie que les rastafaris doivent libérer Babylone (le monde de l’oppression) avant de pouvoir espérer un repos mérité en Ethiopie.

    L’assimilation de la Jamaïque à Babylone reste présente dans le rastafarisme même dans les années 1960 et 1970, mais sous une autre forme. Ce n’est plus le pays tout entier qui est rejeté comme un lieu étranger; ce qui est dorénavant stigmatisé est la société jamaïcaine, du moins celle des possédants.
    De nos jours le rapatriement en Ethiopie n’est plus une priorité, seul le combat pour la liberté prime, le rastafarisme s’est répandu sur la planète entière et touche désormais toute les couches de la population même si il y a aujourd’hui beaucoup plus de sympathisants que de pratiquants.


    votre commentaire
  •  

    ...Cannabis...

     

    Bien ou mal !??


     

    Cannabis Sativa est une plante légendaire et mythique. Pourtant aucun livre d'histoire ne la raconte. du monde végétal, son double visage est un cas unique. Il y a le chanvre, la plante textile légale et il y a le cannabis, la plante psychotrope.

    Il s'agit en fait d'une seule et même espèce : Cannabis Sativa, dont voici l'histoire.

    Le Cannabis Sativa est une des plantes les plus anciennement cultivée par l'homme. Le travail du chanvre était déjà développé en Chine 10'000 ans avant J.-C.. On a d'abord récolté les graines pour se nourrir, puis on a découvert qu'en brisant la tige on pouvait en retirer des fibres pour faire du papier, des filets de pêches ou même du textile. Les habitants de la Chine Ancienne appelaient leur pays, le pays du chanvre et du mûrier. Les feuilles de mûrier étaient utilisées pour l'élevage des vers à soie producteurs du précieux textile que seuls les riches et les puissants pouvaient s'offrir. Les autres portaient les vêtements de chanvre.

    Chanvre se dit «Mâ» en chinois, ce qui signifie littéralement «plante à deux sexes», à la fois mâle et femelle. Le chanvre fut aussi la première plante à être cultivée pour la fabrication des armes de guerre. Les Chinois ont d'abord utilisés des bambous pour les arcs, avant de découvrir que la fibre de chanvre était plus résistante. Dès lors, les empereurs firent affecter une partie des terres pour la culture exclusive du chanvre. Arme de guerre, le chanvre servait également à la culture.

    Selon une légende ancienne, l'invention du papier chanvre serait due à Tsai Lung eunuque de la cour impériale. Pour attirer l'attention de l'empereur sur son invention, Tsai Lung se fit passer pour mort, il ordonna que du papier de chanvre soit brûlé autour de son cercueil, puis organisa sa propre résurrection et l'attribua au pouvoir de son invention. Depuis, les Chinois brûlent du papier de chanvre lors de leurs funérailles.

    La légende est également à l'origine du «Woo Foo», les cinq niveaux de deuil, un code qui impose aux parents d'un défunt le port d'un vêtement de chanvre différent en fonction de leur lien avec lui.

    Pendant longtemps, les Chinois ont jalousement gardé le secret de la fabrication du papier de chanvre. Il faut attendre le Ve siècle de notre ère pour que ce savoir soit d'abord transmis au Japon, avant de s'étendre au Moyen-Orient et apparaître finalement en Europe au XIIIe siècle. L'utilisation de la plante remonte au XXVIIIe siècle avant J.-C., lorsque l'empereur Chen Lung fonda la médecine chinoise. On soignait alors les blessures de guerre en appliquant les feuilles de cannabis directement sur la plaie.

    Aujourd'hui encore, dans le monde entier, des médecins plaident en faveur de l'utilisation des fleurs de cannabis comme traitement contre la douleur, notamment pour les patients atteints du cancer et du sida.

    Le cannabis fut également cultivé sur les marches du continent Indien, Kazakhstan, Pakistan, Népal, Cachemire d'aujourd'hui. Les fermiers indiens utilisaient la technique du ruissage, pour le transformer en farine, bouillie ou même «pop corn».

    Les graines servaient aussi de nourriture et fournissaient une huile à faible teneur en acide gras. Au IIIe siècle après J.-C., l'empereur romain Gallien recommande l'usage du cannabis qui, assure-t-il, entraîne bonheur et hilarité. Dans une société en pleine décomposition, les romains se tournent vers des dieux venus d'Orient. Mitra et Zaratustra dont les zélateurs (adorateurs) se combattent férocement.

    Pour les Romains, le chanvre était vraiment le nerf de la guerre.

    Ceci nous offre une parfaite illustration de l'importance stratégique du chanvre dans toutes les sociétés à travers l'histoire. Les Romains possédaient des réserves de chanvres des deux côtés des Alpes. Ils en avaient une à Ravenne et une à Vienne. Le fournisseur de chanvre occupait une place très importante dans la hiérarchie. Ils l'utilisaient également sous toutes ses formes: vêtements, abris, nourriture et médecine.

    Plus tard, les chrétiens diabolisent le cannabis et lient son usage aux rites sataniques.

    Il faut attendre le IXe siècle et Charlemagne pour voir à nouveau encouragée la culture de chanvre. Dans les monastères, les moines copistes travaillent sur du papier de chanvre à la lumière de lampes à huile... de chanvre. 1455, c'est sur du papier chanvre que Guttemberg imprime sa première bible. En 1484, le pape Innocent VIII déclare sacrilège la consommation de cannabis.

    Au XVIe siècle, en France, François Rabelais médecin et écrivain évoque de manière détournée le cannabis dans son célèbre ouvrage Faits et dits héroïques du grand Pantagruel. Un éminent historien français, Pierre Goubert était convaincu que la prospérité croissante à la fin du XVIe siècle et au XVIIe dans l'ouest de la France était due principalement aux syndicats des industriels du chanvre et du lin. Il faut se souvenir qu' à la fin du XVe siècle, l'Espagne dominait les Indes. D'après Goubert, c'est grâce à la création de ces syndicats et aux échanges commerciaux avec l'Espagne qu'on a pu constater à cette époque en France une croissance des richesses de la population.

    Christophe Colomb découvrit l'Amérique en 1492 et y introduit le chanvre par la même occasion. Parmi les cadeaux qu'il offre aux Indiens, on y trouve des graines et des vêtements de chanvre. Le chanvre sert à la fabrication des voiles et cordages. Grâce à lui, la France, l'Angleterre, l'Espagne et le Portugal développent leurs puissances maritimes. En 1620, le May Flowers transporte les colons anglais qui vont conquérir l'Amérique; dans sa cale il emporte également des graines de chanvre.

    Cent ans plus tard, c'est sur du papier chanvre que sont écrites les ébauches de la Constitution américaine, c'est également le cas de la Déclaration d'indépendance en 1776.

    Les graines furent également introduites en Amérique par les esclaves.

    Pendant des siècles, le chanvre reste une matière stratégique pour l'Angleterre. Au début du XIXe siècle, il compose toujours l'essentiel des voiles et cordages des navires. Il est importé à 90% d'Italie et de Russie. Avec les guerres de conquêtes napoléoniennes, le royaume britannique craint pour ses approvisionnements. Le roi d'Angleterre Georges III développe la culture de chanvre et construit des manufactures dans les ports de la côte sud du pays. En 1803, la marine anglaise organise un blocus contre la France. En réaction, Napoléon signe un accord avec le Tsar Alexandre 1er. Le traité de Tilsit interdit notamment les exportations de chanvre russe à destination de l'Angleterre. Malgré les protestations de Napoléon, Alexandre 1er laisse passer le chanvre en contrebande pour l'Angleterre, c'est l'un des éléments qui pousse Napoléon à envahir la Russie.

    Dans l'Europe du XIXe siècle, la mode est au cannabis, l'Orient et ses mystères provoquent les passions les plus folles. La vogue orientale influe sur les règles vestimentaires, la destination des voyages ou la décoration des intérieurs. Pour se conformer au goût du jour, on fume, selon la méthode ancestrale, la pipe à eau, également appelée «Mouga».

    A Paris, l'hôtel Pimaudent abritait le célèbre club des Haschichins. Artistes et écrivains venaient y déguster la fameuse confiture du docteur Joseph Moreau de Tours. Parmi les plus célèbres on compte: Théophile Gaultier, Eugène Delacroix, Charles Baudelaire, Alexandre Dumas et Gérard de Nerval. La reine d'Angleterre Victoria était également une adepte de la confiture de Haschich, comme de nombreuses femmes de sa génération, elle en consommait pour calmer ses règles douloureuses.

    A Amsterdam le cannabis importé d'Afrique du sud depuis 1660 se fumait dans les coffee shop, une tradition qui se perpétue aujourd'hui.

    A la fin du XIXe siècle, les émigrants indiens introduisent le cannabis au Mexique où il prend le nom de marijuana et devient le symbole de la révolution de Pancho Villa avec la chanson «la Cucaracca».

    De leur côté, les fermiers mexicains reprennent à leur compte la méthode indienne du ruissage pour apprêter les fibres. Ils fabriquent toutes sortes de produits, des chapeaux aux sacs, en passant par les tapis.

    Du Mexique, la marijuana voyage jusqu'au sud des Etats-Unis. Les esclaves des plantations de cotons la consomme pour tenter d'adoucir leur condition. Puis c'est au tour des bidonvilles de Louiseville - Dixieland et le swing - de découvrir la fièvre de la marijuana, elle y est connue sous le nom de «reefer».

    En quelques années, les chansons sur l'herbe font fureur et les clubs de musique fleurissent partout où la communauté noire immigrée s'est établie. La fièvre de la marijuana associée à un nouveau développement de l'industrie du chanvre et à une prise de conscience des dangers de l'alcool, commence à faire parler d'elle dans les coulisses du pouvoir. L'alcool commence à être reconnu comme un danger pour la société. Les femmes américaines forment un groupe de pression et réclament l'interdiction de la vente d'alcool.

    Viennent les années de la Prohibition et leur cortège de violence. L'alcool est à nouveau légal en 1933.

    La Chine, le pays du chanvre, fait partie du plan de conquête militaire du Japon. L'invasion de la Chine et des Philippines, deux pays gros producteurs de chanvre provoque le début d'un rationnement.

    De son côté Hitler, comme d'autres chefs de guerre avant lui, prend conscience de l'importance stratégique du chanvre, qui sert à la fabrication de nombreux textiles indispensables en temps de guerre. Lorsque les troupes allemandes envahissent la Russie en 1941, elles coupent l'accès du chanvre russe. L'Allemagne parvient à poursuivre sa production de chanvre, mais l'Angleterre est privée d'une fibre nécessaire à son effort de guerre. En 1942, les troupes allemandes atteignent le coeur de la Russie.

    Pour protéger son approvisionnement, l'Angleterre demande à l'Inde d'accroître sa production de chanvre. Pendant ce temps, la guerre gagne du terrain au Japon. Lorsque les Japonais bombardent Pearl Harbour et obligent ainsi les américains à entrer en guerre, ceux-ci s'aperçoivent qu'ils n'ont plus accès à leur source d'approvisionnement en chanvre. Or, les forces armées dépendent complètement du chanvre, pour les cordages, câbles et ficelles ainsi que pour les chaussures, bottes et autres équipements divers.

    Le gouvernement américain décide de former une industrie de guerre pour le chanvre. Les Etats-Unis relégalisent la marijuana et distribuent des graines à ses fermiers. Un film de propagande est même réalisé pour encourager cet effort de guerre: Hemp for victory : du chanvre pour la victoire

    Les forces aériennes alliées dépendent complètement du chanvre, les sangles des parachutes, tout comme les sacs à dos et les ceintures sont faits de chanvre. Une fois les Japonais chassés des Philippines par le général McArthur, la production de chanvre retrouve son niveau d'avant-guerre.

    Après les années de guerre un nouveau monde apparaît, l'Inde obtient son indépendance. Grâce à la mécanisation, le pays double sa production et peut développer ses exportations vers les Etats-Unis et le reste du monde. Les Etats-Unis interdisent à nouveau la culture du chanvre, mais en importent des millions de tonnes pendant le boum économique de l'après-guerre pour approvisionner leurs industries.

    Dans la France de l'après-guerre, la culture et le travail du chanvre connaissent également une véritable révolution industrielle.

    Dans les années 60, la génération des Hippies lance un mouvement mondial en faveur de la légalisation du cannabis. Sa consommation est encouragée par les vedettes du rock anglais et américain, les Beatles, John Lennon en tête, choquent l'Angleterre bien-pensante avec leur message ouvertement pro-cannabique. Lorsque Mick Jagger et Brian Jones sont arrêtés en possession de cannabis, les Rolling Stones sortent la chanson «We love you», une réponse en pied de nez aux représentants de la loi. L'intérêt des Rolling Stones pour la culture marocaine fait des émules, ils créent ainsi une alternative à la mode de l'Inde et des Beatles. Désormais, c'est vers le Maroc que les Hippies prennent la route.

    Dans les années '70, en Jamaïque, les rastas fument le cannabis qu'ils appellent «ganja», la nourriture de l'esprit. Toujours dans les années '70, le cannabis est dépénalisé à Amsterdam. Ben Dronckers devient ainsi le premier producteur légal de marijuana millionnaire.

    Le renouveau du chanvre attire l'attention du magazine High Times, la bible américaine du cannabis, qui envoie Elrose Hunter journaliste intrépide visiter l'Europe pour ramener des photos. Ed vient de publier son ouvrage Hemp today, le chanvre aujourd'hui. En 1992, les médias britanniques font leurs gros titres sur la première récolte légale de chanvre depuis 70 ans en Angleterre. La police anglaise a cessé d'arrêter les petits consommateurs, Londres devient le nouvel Amsterdam et les groupes de pop anglais reviennent en force dans les hit-parades avec des chansons sur la marijuana.

    La prise de conscience écologique qui a suivi cette mode du cannabis, est à l'origine de l'apparition en Europe d'un marché de vêtements et de produits de toutes sortes. Lors du premier festival écologique international de Francfort en mars 1995, les écologistes tentent de promouvoir, avec plus ou moins de succès, la culture du chanvre. Aux abords de la conférence, une exposition commerciale vente les bienfaits du chanvre et du cannabis.

    En Allemagne, depuis la dépénalisation du cannabis en mars 1995, le chanvre est en train de devenir une culture à la mode dans le petit monde des producteurs écologiques. Les graines et l'huile de chanvre sont de plus en plus utilisées dans les préparations culinaires.

    En Suisse, le best seller de la cuisine du chanvre offre 22 recettes nutritives à base de chanvre. En France, on construit des maisons avec du chanvre aggloméré, des constructions, que leurs promoteurs assurent à l'épreuve du feu et de la décomposition. Le matériau supporterait l'usure du temps et ne perdrait aucune de ses propriétés naturelles.

    Malgré cette criminalisation de la consommation, le chanvre n'a jamais complètement perdu ses adeptes en Suisse. Dans les années 60, certains milieux n'ont pas hésité - comme en Allemagne et en Hollande à s'afficher un joint à la bouche, en s'inspirant de l'exemple américain et, en partie, extrême-oriental.

    Dans le cadre du mouvement hippie, le cannabis a symbolisé, pour bon nombre de jeunes, le refus de la société adulte et de son mode de vie. C'est ainsi que l'on a vu naître une «culture chanvre» dotée de son jargon, de ses rituels et de son infrastructure propres, culture dans laquelle la consommation de haschisch et de marijuana jouait un rôle primordial.

    Avec le déclin des mouvements de protestation lancés par les jeunes, avec l'individualisation de la consommation et la progression des drogues dures (héroïne) sur le marché dans les années 80, les consommateurs de drogues se sont fait plus discrets, et le cannabis s'en est retourné dans l'ombre...

    Récemment, toutefois, des adeptes du chanvre se sont organisés pour essayer de faire revivre tant le passé agraire de la plante que la culture hédoniste du cannabis des années 60. C'est ainsi que l'on a assisté à des essais de culture de chanvre industriel dans des régions de montagne, à la distribution de produits du chanvre par le biais de coopératives agricoles et de magasins avec vente au détail de haschisch et de marijuana. Nous avons aussi vu naître un véritable lobby politique visant à légaliser la culture, le commerce et la consommation des produits cannabiques.

     

     

     

     

      La plante...

    Le chanvre est une grande plante herbacée annuelle qui mesure de un à trois mètres de haut. Le chanvre appartient à la famille des Cannabacées (Cannabinacées) qui outre le genre Cannabis ne comporte que le houblon (genre Humulus). La plante présente des tiges dressées et des feuilles alternes, palmées, comportant de 3 à 9 folioles dentés. Les fleurs sont petites, de couleur verte. Les fleurs mâles forment des bouquets ramifiés alors que les fleurs femelles forment des épis. Les fruits secs, des akènes comportant une seule graine, sont enrobés dans une bractée florale persistante. C’est une plante résineuse, la résine étant sécrétée par des poils glandulaires particulièrement nombreux au niveau des sommités fleuries.
    Bien que les avis divergent chez certains spécialistes sur l’existence d’une ou plusieurs espèces de Cannabis, la majorité des botanistes considèrent qu’il n’existe qu’une seule espèce de Cannabis, le C. sativa, dont les différentes formes (C. sativa sativa, C. sativa indica, C. sativa ruderalis) constituent des écotypes ou des variétés. Il s’agirait en effet d’une espèce peu stable sur le plan génétique et fortement influencée par les conditions écologiques malgré la sélection effectuée par l’homme depuis des milliers d’années.
    Le nom de genre du chanvre, Cannabis, est employé aussi couramment pour caractériser les différentes formes sous lesquelles est consommée la plante ou ses dérivés,

    La teneur en résine sécrétée par les poils spécialisés situés au niveau des sommités florales est très variable selon l'origine géographique de la plante et les pratiques culturales. Aussi, la teneur en THC de la plante varie-t-elle de 1 à 10 %. Chaque poil sécréteur se termine par une tête globuleuse où s'accumule la résine et qui se détache aisément de son support.
    C’est également une plante fibreuse. Ce sont ces deux dernières propriétés qui sont à l’origine de sa culture : la résine possède des propriétés psychotropes connues depuis la nuit des temps et le chanvre a été longtemps cultivé en Europe et en Asie pour ses longues fibres utilisées dans la fabrication de cordages.
    C’est une plante cosmopolite, mais les conditions de milieu ont une grande influence sur son développement et sa croissance : dans les régions chaudes, elle produit beaucoup de résine et peu de fibres alors que dans les régions tempérées, elle produit beaucoup de fibres et peu de résine. Ceci conduit à distinguer la variété textile de la variété « indienne ». La culture du chanvre, interdite par les conventions internationales, est désormais autorisée en Europe à la condition d’utiliser des variétés textiles contenant moins de 0,3 % de
    tétrahydrocannabinol (ou THC), le principe actif responsable des propriétés psychotropes. Les semences, qui ne contiennent aucun principe actif, sont utilisées aussi pour préparer de la farine ou pour en extraire une huile riche en acides gras insaturés.


     

      Des formes diverses : Marijuana, haschich, huile...

    On connaît plus de 350 noms pour le chanvre dans le monde (dagga, ganja, kif, marijuana, takrouri, yamba…) sans compter le vocabulaire récent inventé par les utilisateurs contemporains. Dans le passé, diverses préparations traditionnelles contenant du cannabis étaient destinées à être mangées comme le bhang (boisson préparée à partir de la plante consommée dans le sous continent indien) et le dawamesk (pâtisserie à base de haschich consommée en Turquie et au Moyen-Orient), rendu célèbre au dix-neuvième siècle par les membres du club des haschichins qui consommaient le haschich sous cette forme principalement. Mais le plus souvent le cannabis était fumé et c'est de cette façon qu'il est majoritairement consommé aujourd'hui encore selon des méthodes qui varient avec les cultures.

    Pour exploiter leurs propriétés psychotropes, les sommités fleuries des plants de chanvre sont préparées traditionnellement de deux façons différentes selon les régions.
    Les plantes, plus particulièrement les sommités fleuries, récoltées directement et séchées donnent la marijuana qui est connue sous des noms variés selon les pays et dont la présentation et le mode de

    consommation dépendent des coutumes locales.

    On peut également récolter la résine sécrétée par les poils glandulaires pour préparer le haschich.

    Plus récemment a été mise au point une technique utilisant des solvants qui permet d’isoler une huile de cannabis dont le contenu en principes actifs est beaucoup plus élevé.


     

      Haschich...

    Il existe deux méthodes traditionnelles de préparation artisanale du hachisch tandis que le hachisch destiné à l’exportation est préparé industriellement.
    Au Proche et au Moyen-Orient, les plants de chanvre récoltés au moment de leur floraison sont battus sur un drap tendu sur un récipient large. Les poils sécréteurs microscopiques qui se détachent des sommités fleuries passent à travers le tamis constitué par le drap et constituent une poudre improprement appelée pollen puisque le véritable pollen des fleurs est constitué par les éléments mâles responsables de la fécondation chez les plantes à fleur. Selon la force appliquée pour battre les plants, la poudre obtenue est de qualité variable. Lorsque les plants sont simplement frottés sur le drap, on obtient une poudre constituée presque exclusivement des poils sécréteurs. C’est la meilleure qualité de haschich dont la teneur en THC, le principe actif du cannabis, dépasse couramment 20 %.
    Si les plants sont battus plus violemment, on recueille davantage de poudre mais elle contient une proportion moindre de poils sécréteurs et est donc moins riche en principe actif.
    Enfin, si les plants sont battus à l’aide d’une baguette, divers débris s’y ajoutent encore ce qui aboutit à une poudre encore moins riche. En général, dans les zones de production, un premier passage est réalisé en secouant simplement les sommités fleuries sur la toile. La poudre obtenue en quantité faible par rapport au poids de plantes utilisé (on récupère alors environ 1 % du poids initial des plantes) est réservée à la consommation locale. Le hachisch destiné à l’exportation est fait avec une poudre résultant d’un battage intensif des plantes entières, voire broyées, beaucoup plus rentable en terme de poids. C’est la raison pour laquelle la plupart des hachisch disponibles sur le marché clandestin en Europe sont de basse qualité.
    En Inde et au Népal, la méthode de récolte traditionnelle est différente. Les sommités fleuries sont frottées entre les paumes des mains et la résine se dépose sur la peau. En frottant les mains l’une contre l’autre, la résine forme de petites boules qui sont ensuite agglomérées entre elles.
    La poudre obtenue par tamisage n'est pas destinée à être consommée directement. Elle nécessite une préparation, le pressage. Lorsqu’il s’agit de préparation artisanale, le pressage est le plus souvent réalisé à la main. Une dizaine de grammes de poudre sont réunis dans le creux de la main, quelques gouttes d’eau y sont ajoutés, puis l’ensemble est longuement malaxé et chauffé de temps à autre. La poudre constitue alors une masse brune, plastique qui s'agglomère et devient de plus en plus homogène.
    Divers types de pipes sont utilisées traditionnellement pour fumer le haschich mélangé ou non à du tabac

    Dans la production industrielle, le pressage est réalisé avec des presses mécaniques. La poudre est enfermée dans des sacs de cellophane ou de tissu comme au Maroc ou au Pakistan et les sacs sont empilés sous une presse. Les plaques obtenues dont la masse va de deux cents grammes à un demi kilo reçoivent souvent une marque de fabrique imprimée en creux, directement sur la résine. En France, ces plaques ont reçu le nom de savonnettes. Bien souvent, la concentration en poils sécréteurs étant insuffisante, il est ajouté à la poudre diverses substances comme des corps gras permettant de lui donner un liant suffisant pour permettre le pressage.

     

      Composition...

    On a identifié dans la résine de chanvre 426 composés chimiques différents dont une soixantaine de substances liposolubles dérivées du terpène, les cannabinoïdes. Contrairement aux substances psychotropes extraites des autres plantes, il ne s’agit pas d’alcaloïdes car les cannabinoïdes ne sont pas alcalins et ne contiennent pas d’azote. Il s’agit d’une famille particulière de composés chimiques à laquelle appartiennent aussi de nombreuses substances non psychotropes produites par diverses essences végétales. Parmi les cannabinoïdes du chanvre, deux seulement sont psychoactifs, le delta 9- tétrahydrocannabinol ou THC, présent dans toutes les variétés, et la tétrahydrocanabivérine présente semble-t-il seulement dans quelques variétés. Le chanvre sauvage contient de 1 à 7 % de THC, mais les cultivateurs hollandais et californiens produisent couramment des variétés obtenues par hybridation et sélection qui en contiennent jusqu'à plus de 10 % (skunk, sinsemilla). Le haschich contient de 5 à 40 % de THC.


     

      L’Antiquité...

    Le chanvre est, avec le pavot, la plante la plus anciennement consommée par l'homme pour ses propriétés psychotropes. Il est originaire du versant indien ou chinois de l’Himalaya, et il est connu en Chine depuis au moins 6 000 ans. Ses fibres et ses graines étaient largement exploitées de même que ses propriétés psychotropes. Il faisait partie en Inde des cinq plantes magiques utilisées dans les rituels religieux et entrait sans doute dans la composition du soma. La ganja et le bhang continuent d’être utilisés chez les Hindous à des fins rituelles, notamment dans certains temples. Son usage s’est répandu très tôt dans le monde entier. Il était connu des Assyriens et des Scythes il y a trois mille ans. Ces derniers l’utilisaient en fumigations : ils jetaient la plante ou la résine sur des pierres chauffées après avoir étanchéifié le local et inhalaient la fumée.

    En Égypte on l’utilisait d’une manière comparable. La médecine grecque le reconnut comme hallucinogène. Massilia, l’actuelle Marseille, exportait dès le septième siècle avant notre ère des cordages de chanvre et la découverte de nombreuses pipes sur le site suggère son utilisation comme psychotrope à cette époque où le tabac était inconnu en Europe. Le nom de Cannebière qui a la même racine que cannabis rappelle l'importance de cette plante dans l’économie locale.
    Le chanvre était bien connu aussi des Arabes qui, à la fin du treizième siècle, disposaient de plus de cent termes différents pour le qualifier. Il était utilisé à la fois comme médicament et comme stupéfiant. L’histoire de la secte des Haschichins, ennemis des croisés qui tentèrent d’assassiner saint Louis, est bien connue mais sa relation avec l’étymologie du mot assassin reste controversée.


     


     

      L’Europe...

    En Europe, son usage en tant que psychotrope est resté méconnu jusqu'au dix septième siècle sauf par Paracelse et Rabelais (qui décrivit au seizième siècle le « pantagruélion » dont les caractéristiques suggèrent qu’il s’agit du chanvre) alors que ses fibres étaient d'une importance stratégique (cordages).
    La connaissance de ses effets se répandit en Europe, en France, après la campagne napoléonienne d’Égypte, pays où il était largement consommé sous forme de haschich, et, en Angleterre, après la conquête des Indes. Un décret de Bonaparte du 8 octobre 1800 tenta de prohiber son commerce et son utilisation en Égypte mais il suscita néanmoins l’intérêt de scientifiques ayant accompagné Bonaparte dans ce pays comme Sylvestre de Sacy, Aubert Roche et Jacques Moreau de Tours. Ce dernier, psychiatre, l’étudia scientifiquement, le testa pour traiter ses malades et publia Du Haschich et de l’Aliénation Mentale, ouvrage qui devait avoir un grand retentissement. Il fit connaître le haschich à Théophile Gauthier et à d’autres écrivains et artistes comme Charles Baudelaire, Alexandre Dumas, Gérard de Nerval, Delacroix etc. De leurs soirées naquit le club des haschichins réunissant à l’hôtel Pimodan l’intelligentsia de l’époque. Ils y expérimentèrent les effets du haschich sous forme de dawamesk. Les écrits de T. Gauthier comme le Club des Haschichins ou de C. Baudelaire comme Les Paradis artificiels populariseront ces expériences.
    Le chanvre et ses dérivés, comme les autres drogues traditionnelles (opium, coca), seront interdits en France par la première loi de prohibition concernant les psychotropes, votée le 12 juillet 1916 qui n’empêchera pourtant pas la régie française des tabacs de vendre officiellement un mélange de kif et de tabac en Afrique du nord et la France de produire du chandou en Indochine à travers une Régie de l'opium jusque dans les années 50.
    En Grande-Bretagne, vers 1840, O’Shaugnessy, un médecin irlandais ayant travaillé aux Indes comme médecin de la Compagnie des Indes orientales, étudia expérimentalement les propriétés du chanvre et introduisit son usage en médecine. On en fit dès lors des médicaments contre les douleurs, l’asthme, les migraines etc. Ces médicaments se répandirent rapidement aussi aux États-Unis.
    Le gouvernement britannique, confronté à une consommation importante de chanvre en Inde, prit l’initiative de mettre en place une commission chargée d’une étude exhaustive sur cette plante (Indian Hemp Drugs Commission). La commission rendit en 1894 un rapport de 7 500 pages
    comportant sept volumes, probablement l’étude la plus approfondie qui ait jamais été faite sur la question.


    Le rapport concluait à l’absence de nocivité du chanvre. En 1916 pourtant, comme la France, la Grande-Bretagne adoptera une législation prohibitionniste s’étendant à toutes les drogues.
    Aujourd'hui, divers groupes de pression luttent pour la libéralisation de l'usage du chanvre sous une forme ou sous une autre. Certains groupes militent pour la légalisation de l'utilisation médicale (Cannabis buyer's club aux USA), d'autres pour une dépénalisation voire une légalisation (Mouvement pour la Libéralisation Contrôlée, Collectif d'Information et de Recherche Cannabique en France). Dans la plupart des pays européens il existe aujourd'hui une dépénalisation de fait ou de droit du simple usage mais le chanvre reste inscrit sur la liste internationale des stupéfiants sans utilisation médicale. En France, où le simple usage est un délit, des circulaires aux procureurs préconisent cependant de ne pas poursuivre les simples usagers.

     

      L’Amérique...

    En Amérique, si le chanvre était cultivé pour ses fibres dès le dix neuvième siècle, l’habitude de le fumer a probablement été importée d’Afrique au Brésil par les esclaves. Le chanvre est en effet présent depuis longtemps en Afrique où Livingstone l’avait rencontré sous une forme sauvage au Congo lors de ses explorations. Du Brésil, il gagna ensuite le Mexique puis les États-Unis. Les travailleurs mexicains qui, au début du siècle, traversaient la frontière vers les USA l’introduisirent au Texas. Dès 1937, le chanvre appelé par son nom mexicain marijuana, fut interdit aux États-Unis par le Marijuana Tax Act après d'hystériques campagnes de presse. Autorisée de nouveau pendant la guerre pour fournir des fibres, sa culture sera de nouveau interdite après guerre.
    Aujourd'hui, l'Amérique du Nord est un des principaux producteurs clandestins de cannabis avec notamment de vastes surfaces cultivées aux USA et la mise au point au Canada de variétés hybrides sélectionnées particulièrement riches en
    THC souvent cultivées en intérieur.


    votre commentaire
  • Le texte ci-dessous est extrait d'un Mémoire de psychologie sociale (1999/2000) :
    "Tatouage en l'an 2000 : allégorie ou décoration"

     

     

    Ne nous laissons pas perdre dans la confusion des temps :
    le tatouage n'est ni sauvage, ni barbare, ni civilisé.
    Le tatouage est hors du temps

    H. Tenenhaus.


    L'histoire du tatouage est très difficile à retracer, car même s'il s'agit d'une pratique ancestrale, on ne peut pas encore la situer avec exactitude dans le temps.
    Peu d'historiens se sont consacrés à sa découverte et son évolution. Même si des anthropologues, ou des tatoueurs dans une démarche personnelle, essaient de découvrir des informations sur l'origine de la décoration corporelle, les recherches ne se limitent pas au tatouage en tant que dessin intradermique, mais impliquent tous types de mutilations du corps.

    Toutefois, on peut situer les premiers tatouages au niveau de la préhistoire. En effet, en 1991 a été découvert dans les Alpes Italiennes le corps momifié d'un chasseur néolithique piégé dans le glacier de SIMILAUN, datant de 5300 av. J.-C. Il a été relevé sur lui la présence de petits signes très stylisés et schématiques. Il s'agit du plus vieil exemple de tatouage. Il a également été établi que ces tatouages avaient été pratiqués dans un but médical et avaient une fonction thérapeutique, car situés au niveau des articulations et pouvant donc avoir un effet sur l'arthrose.
    Avant cette découverte, le premier tatouage se situait en Egypte avec une momie de 2200 av. J.-C., dont le corps était entièrement tatoué de motifs décoratifs, mais ayant un but plutôt sacré et religieux.
    La découverte en Asie centrale d'une momie datant de 500 av. J.-C. offrait, elle, des représentations de créatures imaginaires.
    Il est donc réellement difficile de situer précisément le début de cette pratique, ceci aussi bien d'un point de vue historique que géographique.
    Mais, partout où le tatouage s'est manifesté il a contribué à marginaliser ses adeptes d'une certaine façon. Il servait à distinguer les classes sociales, à marquer le passage d'un état à un autre, à identifier les esclaves ou les criminels...



    TATOUAGES POLYNÉSIENS

    C'est dans les peuples dits primitifs, et plus précisément en Polynésie (Îles Marquises et Nouvelle-Zélande) que le tatouage s'est le plus développé. Il marquait généralement l'appartenance à un rang social élevé.
    Par exemple, chez les Areoïs, la société se divise en classes que la disposition des tatouages sur le corps met en avant. Chaque classe prenant le nom de parties tatouées.
    Ainsi, la première classe, la plus élevée, est nommée "jambes tatouées", la deuxième "bras tatoués", la troisième "flancs tatoués"...
    La pratique du tatouage dans ces cultures avait pour but de renforcer la fécondité et les liens avec le surnaturel et le sacré. En Polynésie, le baptême de l'enfant, c'est le tatouage. Pour être inscrit dans la communauté, le polynésien doit passer par des rites imposés par la tribu. C'est alors une cérémonie familiale et religieuse.


    Les Îles Marquises
    Les tatouages qui y sont effectués sont essentiellement d'ordre esthétique.
    Toutes les parties du corps sont tatouées, à l'exception de la paume des mains et de la plante des pieds.
    Plus les dessins sont nombreux, riches et variés, plus la personne est âgée et élevée dans le milieu social.
    A la fin du XIXème siècle, une personne n'ayant pas le dessus de la main tatouée ne pouvait pas se servir dans la marmite commune. De même, qu'un homme ne pouvait demander la main d'une jeune fille s'il n'avait été préalablement tatoué. C'est donc pour cette raison que le tatouage était effectué dès la puberté.
    Pendant la cérémonie, les femmes n'étaient pas admises. Le tatouage était effectué par un prêtre sous les chants des spectateurs servant à encourager les futurs tatoués afin qu'ils supportent la douleur. Le jeune nouvellement tatoué ne sortait de chez lui et ne montrait ses tatouages qu'après leur cicatrisation définitive.
    En ce qui concerne le visage, les chefs pouvaient se le recouvrir totalement alors que les autres membres y apposaient des traces uniquement sur certaines zones de leur corps.
    Un beau tatouage pour le Marquisien est donc une marque de fierté et d'orgueil, car il nécessite de nombreuses séances et de plus est très douloureux.
    L'instrument utilisé pour tatouer était un manche de bois (souvent du bambou) sur lequel on fixait des objets les plus divers tel qu'un os d'oiseau, un morceau de nacre, des dents de poisson... Le tatoueur tapait sur cet outil à l'aide d'un petit marteau pour faciliter la pénétration dans la peau. Le colorant était fait à partir de noir de fumée tiré de la noix de Bancoulier (arbre qui pousse dans les îles pacifiques), puis mélangé à de l'eau.


    La Nouvelle Zélande
    Le tatouage en Nouvelle-Zélande est inséparable du mariage, de ce fait la jeune fille se doit d'être belle en se tatouant le visage. De même, pour l'homme le tatouage est un élément de séduction.
    Le Maori utilise un élément tranchant (couteau, ciseau...) et non une aiguille pour tatouer.
    Le tatouage est effectué à l'âge de 20 ans. Celui qui refuse de s'y soumettre est considéré comme efféminé, sans courage et indigne de faire partie de la communauté.
    Les Maoris sont aussi célèbres pour leurs tatouages recouvrant le visage appelé "MOKO". Le trafic des têtes tatouées s'étant fortement développé au XIVème siècle, porter un "Moko" c'était aussi le risque d'être décapité. [...]
    Le "Moko" est une marque de noblesse, il revendique pour celui qui le porte une victoire accomplie.
    Chez la femme Maori, le tatouage avait également selon la culture locale un pouvoir érotique.



    TATOUAGES ASIATIQUES

    Le Japon

    Au Japon, le tatouage dès le Vème siècle servait à punir les criminels au même titre que le fait de couper une main ou une oreille. Il avait pour but de marquer l'individu à vie.
    Au XVIIème siècle, les prostituées se tatouaient elles-mêmes sur le bras, le dos de la main, la poitrine ou le visage.
    C'est donc par cette double pratique (celle du criminel et de la prostituée) que le tatouage a été assimilé aux mauvaises moeurs de la société japonaise. D'où également le mépris des classes supérieures pour ce style ornemental.
    Le tatouage au Japon connut son apogée entre le XVIIème et le XIXème siècle grâce à un roman chinois du XIVème siècle intitulé "Au bord de l'eau", dont les héros étaient tatoués de la tête aux pieds. Par la suite, les hommes dont le métier était difficile (pompier, charpentiers...) décidèrent de se faire tatouer. Ils abordèrent alors des tatouages symbolisant des animaux connus pour leur virilité tel que le lion, le tigre, le coq...
    En 1872, l'empereur Matsuhito interdit officiellement la pratique du tatouage.
    Mais, cette interdiction ne dura que quelques années.
    Les motifs des tatouages japonais sont essentiellement figuratifs, tels que fleurs (surtout la chrysanthème qui est la fleur nationale), paysages, animaux (poisson, chat papillon...).
    L'un des principaux colorants utilisés est bien évidemment l'encre de Chine, mais aussi le vermillon. Les aiguilles utilisées sont en acier et fixées à un manche en os à l'aide d'un fil de soie.
    Dans la tribu japonaise de "Aïnous", le tatouage existait depuis la préhistoire, et essentiellement sur le visage féminin. Cette tradition existe toujours, mais le tatouage n'est effectué que sur les femmes et uniquement autour de la bouche et sur le dos des mains.
    Il se réalisait en trois temps avant le mariage :
    - entre 12 et 13 ans, le tatoueur incise les mains et y fait pénétrer le colorant.
    - à 15 ans, le tatoueur élargit les premiers tatouages.
    - à 18 ans, le tatoueur ajoute d'autres tatouages sur les bras, les épaules, et le dos de la main jusqu'au coude.
    Le but du tatouage chez les Aïnous est mal connu, et diverses hypothèses ont été envisagées tel que la protection, l'évacuation d'un sang impur, la force...
    C'est également au Japon qu'a été mis au point un type de tatouage original, le "tatouage négatif". C'est un tatouage à la poudre de riz et qui n'est visible qu'à certaines occasions (excitation, bain chaud, sous l'emprise de l'alcool...). Le tatouage se teinte alors en rouge. Les japonais le nomment "kakushibori"
    [*]
    qui signifie "tatouage caché".
    Le tatouage est aussi un rituel, il peut marquer l'entrée dans une communauté, comme par exemple pour les "Yakusas". Les Yakusas représentent la mafia la plus importante du Japon (environ 100 000 membres). Le nouveau membre a pour obligation de se faire tatouer. Les tatouages des Yakusa sont réputés pour être d'une grande richesse artistique, ce sont de véritables oeuvres d'art pouvant recouvrir le corps dans son intégralité.
    Les motivations premières du tatouage japonais sont l'appartenance à un groupe et orner son corps d'une oeuvre qui prouve sa virilité. Il est essentiellement pratiqué par les classes sociales les moins élevées, et est également un signe d'identification des criminels et délinquants.

     

    [*] Ce "kakushibori", tatouage "caché" ou "négatif", suscite parfois bien des illusions chez les tatoués : Selon France Borel, dans son ouvrage "Le vêtement incarné", “la poudre de blanc de plomb qui servait à sa confection était particulièrement nocive, et c'est peut-être pourquoi il aurait disparu. Ce procédé fut si rarement employé que certains, comme le tatoueur Horibun Ier, le considèrent comme apocryphe, et l'on ignore toujours s'il s'agit d'un fantasme ou d'une réalité.”

     

     

     

    La Chine
    L'histoire du tatouage en Chine est récente. En 1986 a été découvert au nord-ouest de la chine des corps assez bien conservés datant d'environ 3000 ans.
    Il a été établi que le tatouage en Chine, à la différence d'autres cultures où il revêt un caractère sacré ou de noblesse, était une pratique populaire.
    Selon F. Borel, “En Chine, le tatouage figurait parmi les cinq punitions aux côtés de la mort, de la castration, de l'amputation du nez et des pieds. Le tatouage fonctionne alors comme une marque humiliante et comme une indication publique et facilement discernable ; strictement codifié, il varie de région en région”.
    Le tatouage en Chine est très peu étudié, à la différence du tatouage japonais, un grand travail reste à faire dans ce sens.


    TATOUAGES ARABES

    L'Egypte

    En Egypte, la pratique du tatouage remonte très loin dans le temps, les momies tatouées connues dateraient de 2000 av. JC.
    Des hypothèses concernant cette pratique sont envisagées tel que des buts esthétiques, magiques ou superstitieux ou encore médicaux, c'est-à-dire préventif ou curatif.
    Par exemple, si une femme après avoir perdu un enfant redevient mère, elle fait tatouer sur son enfant un point au milieu du front, et un autre sur la face externe de la cheville gauche. Ces deux points seraient le symbole d'un barrage contre la mort.
    Mais, il peut aussi avoir un rôle commémoratif comme chez les "coptes" (chrétiens d'Egypte). Sur le bras de chaque "copte" est tatouée la date du pèlerinage effectué à Jérusalem. De même qu'ils arborent une croix sur la face interne du poignet qui supposerait être un signe distinctif de leur religion en cas d'invasion.
    Dans la vallée du Caire, le tatouage revêt essentiellement un but médical. La croix sur le front et l'oiseau tatoué entre les bords externes de l'oeil sont un remède pour les maux de tête et la faiblesse d'esprit.
    Pour se faire, le tatoueur utilise des aiguilles, le colorant est un mélange de noir de fumée et de lait de femme.
    Le tatouage figuratif est également fréquent, son but est toujours plus religieux et superstitieux qu'ornemental. Par exemple, le poisson symbolise la fertilité, la chance, la protection.
    En ce qui concerne les signes géométriques (non-figuratifs), le point a un rôle magique, le cercle délimite la partie malade ou à protéger...
    Le tatouage en Egypte est surtout pratiqué par les paysans (musulmans ou chrétiens).

    L'Afrique du Nord
    Il est supposé que le tatouage en Afrique du Nord existait il y a 3000 ans av. JC. Ces tatouages avaient une valeur rituelle et prophylactique.
    Les motifs les plus fréquemment représentés sont les croissants, les lignes verticales et les losanges, ils étaient disposés essentiellement sur le visage.
    Bien que cette pratique soit très ancienne, l'Islam condamne le tatouage (aussi bien ceux qui s'y soumettent que celui qui le fait). Selon le Coran, rien ne doit modifier la création de Dieu sous peine d'être un "allié" de Satan.
    “... Je leur commanderai et ils altèreront la création d'Allah...” (Sourate 4 - V 118 à V 121).
    De plus, un hadith (tradition relative aux actes et paroles du prophète Mahomet qui fait autorité immédiatement après le Coran) rejète “celle qui met de faux cheveux, celle qui s'en fait mettre, celle qui tatoue et celle qui se fait tatouer”.
    Néanmoins, malgré l'interdiction religieuse le tatouage reste très répandu ; le passé et ses coutumes prenant le dessus sur l'interdit. Pour parer à cet interdit, il existe également un tatouage qui se veut éphémère, c'est le tatouage au henné que les femmes se font sur les pieds et les mains.
    En Algérie, le tatouage est d'une couleur bleue foncée, et représente des croix, des lignes, des points.
    Le tatouage nord-africain n'est pas une marque tribale, mais servait à différencier les classes sociales. En fait, le tatouage est autant décoratif que médical.


    TATOUAGES D'AFRIQUE NOIRE

    En Afrique Noire, le tatouage est essentiellement tribal et effectué par scarifications. C'est un embellissement et aussi un vêtement.
    Chez le peuple "Sarakole" d'Afrique Occidentale, les gencives des filles sont tatouées en bleu, à l'aide d'une épine vers l'âge de 13/14 ans.
    Pour les Noirs, le tatouage permettait de prouver son identité par une marque tribale, et de se différencier des esclaves, qui eux, n'étaient pas marqués.
    Le tatouage et la scarification en Afrique Noire sont revendicateurs des rites d'initiation. Ils peuvent accompagner le fait d'appartenir à une communauté, marquer le passage d'un état à un autre (celui d'enfant à adolescent ou d'adolescent à adulte).
    Toutes ces agressions corporelles vont fortifier la personnalité de celui qui les subies, et augmenter ses forces vitales.
    Chez les "Konkomba" du Togo du nord, les hommes et les femmes ont le torse entièrement scarifié et portent sur le visage des dessins noircis au charbon représentant la tribu.
    Les hommes sont scarifiés à l'âge de 20 ans, les femmes dès la puberté ou dès qu'elles sont enceintes.



    TATOUAGES AMÉRICAINS

    Le tatouage en Amérique serait arrivé d'Asie entre 5000 et 1500 av. JC. Il était très répandu sur toute l'Amérique surtout chez les Indiens.
    Il semblerait qu'il y a 2000 ans av JC, le tatouage et la peinture corporelle remplaçaient l'habillement. De plus, ils indiquaient l'appartenance à une tribu, le rang social, les actes de guerre et de chasse accomplis.
    Le tatouage était l'apanage des prêtres qui revêtaient également les fonctions d'astronomes, de médecins... Ils portaient comme tatouage des scènes religieuses et spirituelles.
    Le tatouage est plutôt remplacé par les scarifications qui sont un signe de courage car très douloureux. “Plus on était tatoué, plus on était jugé brave et vaillant” [W. Caruchet].
    D'ailleurs, les "Sioux", lors de la danse du soleil se prouvaient leur courage en se faisant tatouer.
    Le tatouage du fait de sa douleur pouvait être une punition comme l'explique W. Caruchet : “Un voleur (...) subit en guise de condamnation un tatouage sur l'ensemble du visage, du front, du menton”.
    Chez les "Xikrin" (Indiens d'Amazonie), on rase le crâne du bébé pour y tatouer des motifs géométriques, à la puberté on entaille ses jambes avec des dents de poissons. Cela a pour but de le rendre plus courageux et chasser le mal qui est en lui.



    TATOUAGES EUROPÉENS

    En 1924, en Sibérie, des corps datant de 520 av. J.-C. furent découverts, dont l'un d'eux avait le bras entièrement tatoué de figures fantastiques (tel qu'un animal regroupant : tigre, cerf, aigle et serpent). Sur la jambe droite il y avait un poisson partant de la cheville au genou.
    L'hypothèse soutenue est que ces tatouages seraient une marque de courage, de noblesse, un signe protecteur ou tout simplement une décoration.
    Les Romains, eux, utilisaient le tatouage pour marquer les soldats de la légion Romaines. Le motif représentait un aigle et le nom du général.
    En Grèce, ce sont les esclaves qui portaient le nom de leur maître.
    Mais, l'histoire du tatouage en Europe est assez floue, cette pratique se serait éteinte au Moyen-Age suite à la condamnation de l'Eglise qui considérait le tatouage comme une marque du démon. Le tatouage a été interdit par le Pape Adrien 1er en 787, cette interdiction ne résista pas à la coutume. Même si les textes bibliques sont précis sur cette pratique, ils n'en sont pas pour autant dénoués de paradoxes, et les adeptes ont eu vite fait de controverser cette condamnation.
    Ce qui n'empêchera pas le tatouage de réapparaître au XVIIIe siècle grâce aux navigateurs qui vont ramener de leurs expéditions à travers le monde des souvenirs inscrits à jamais sur leur propre chair...

     

     



    votre commentaire