• Rasta quoi !!???

     


     

    Rastafari : les racines


     


     


     

    Comme surgis d'un album de Corto Maltese, les mystérieux Rastafariens et leurs nattes hirsutes se répandent un peu plus chaque jour dans les rues du monde entier. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Cette histoire de Rastafari, ça raconte quoi exactement ?

    Bob Marley répond:
    "Ma direction, mon but ultime, c'est l'unité de l'Afrique. Quand ce sera arrivé, les gens regarderont en arrière et ils se diront qu'il y avait quelque chose dans tout ce truc. Je suis avant tout un Rasta, et c'est une chose qui vient d'Afrique. Je suis arrivé en Jamaïque à la suite de l'esclavage mais ma place au fond est en Afrique. La
    Jamaïque appartient aux indiens Arawak, qui ont été tués jusqu'au dernier par Christophe Colomb et ses guerriers. Mon but est d'apporter quelque chose aux gens. Le reste je m'en fous. Si je réussis, c'est parce que je me bats pour la vérité. Je ne me laisse pas intimider. Je ne mourrai pas comme ça. Une fois j'ai été durement touché par des balles dans un attentat. Quelques jours avant cette attaque qui a failli ma coûter la vie, j'ai fait un rêve prémonitoire, puisque j'étais pris sous le feu d'une embuscade. Ma mère prenait une balle dans la tête. Une voix me disait de ne pas fuir, et de tenir tête aux assaillants. Alors bien sûr, quand on m'a vraiment attaqué trois jours après, cette vision m'est venue à l'esprit immédiatement ! Je me souviens juste qu'il ne fallait pas que je me mette à courir.

    " Pour comprendre un minimum le reggae, qui diffuse très souvent des messages rastas, il faut carrément remonter aux Hébreux, aux pyramides d'Égypte."

    Et même avant.

    Car en Jamaïque, presque tout fait référence à la Bible. Le mouvement rastafarien est profondément révolutionnaire, car il refuse fondamentalement toute l'organisation de la société "païenne" de Babylone en commençant par réviser l'interprétation établie de la Bible. En faisant rimer "révélation" avec "révolution", Bob Marley chantait "il faut une révolution pour faire une solution" dans son manifeste Revolution de 1974 et "Rasta ne travaille pas pour la CIA" dans Rat Race la même année. Les Rastas puisent leur culture dans l'histoire d'Afrique, à commencer par celle, fascinante, de l'Éthiopie. Héritiers des Griots d'Afrique de l'ouest, les Jamaïcains chantent leurs réflexions sur la vie de tous les jours, mais aussi sur l'Histoire, qu'ils transmettent oralement. Spontanément, ils improvisent ou écrivent au premier degré des commentaires sociaux sur l'actualité, la société, l'histoire. Tel est le contenu du reggae. Ainsi les Rastas remettent en question l'interprétation occidentale, "coloniale" de la Bible. Ce qui est pour le moins subversif dans une société jamaïcaine où la religion chrétienne est partout. Marley le martelle tout au long de son œuvre, qui reste mal comprise tellement la revendication rasta est radicale :

    "Prêtre ne me dis pas
    Que le paradis est sous la terre
    Je sais que tu ne sais pas
    Ce que la vie vaut vraiment
    Tout ce qui brille n'est pas or
    La moitié de l'histoire n'a jamais été racontée
    Et maintenant tu vois la lumière
    /Hey ! Tu te lèves pour obtenir ce à quoi tu as droit
    "
    (
    Get Up Stand Up, 1973)

    À travers leur obsession pour la Bible, point central de la culture jamaïcaine, les Rastafariens veulent faire connaître l'histoire d'Afrique, incroyablement méconnue aujourd'hui encore. Ils révisent ainsi des millénaires d'histoire, et comptent bien que leur vision afrocentriste de la culture judéo-chrétienne toute entière soit entendue de tous. Une histoire fabuleuse.


     

     

    Les Hébreux et l'Éthiopie

    Jadis, bien avant que Jésus-Christ ne fasse son apparition, les Hébreux étaient répandus dans toute la vallée du Nil, de la Méditerranée au nord de l'Abyssinie. Ils étaient très présents dans la société égyptienne antique, et particulièrement dans la région de Goschen à partir de 1900 avant JC environ. Gouverneur du pays kouchite (nord de l'Ethiopie) au service du pharaon, Moïse passe quarante ans en Afrique noire, ce qui éclaire d'une lumière historique les chansons rastafariennes qui clament unanimement que "Moïse était un dreadlock". Réduits entretemps en esclavage, les Hébreux en ont assez de l'oppression égyptienne. Et vers 1500 avant Jésus Christ, armés de la Tora (l'ancien testament) ils fuient l'Égypte. Le Talmud indique qu'ils ne sont "ni blancs ni noirs" mais sans doute entre les deux. La Bible raconte cet exil, un périple où Moïse les mène jusqu'à la terre promise d'Israël (Prince Far I, Moses Moses, 1978).


     

     

    Les Aventuriers de l'Arche Perdue

    Le roi David conquit plus de quatre cents ans plus tard le mont Sion de Jérusalem. Mais sur la route de l'exil, en apparaissant sur le mont Sinaï, l'histoire raconte que Dieu confie à Moïse les dix commandements gravés dans la pierre. Moïse range les précieuses tables de la loi dans un coffre à brancards. On peut bien sûr lire dans la Bible que le troisième roi d'Israël, le sage Salomon, fait construire le Temple de Jérusalem (il n'en reste aujourd'hui que le mur des Lamentations) pour y placer le tabernacle, et y planque l'arche ultra-hyper-sacrée. La marque de la main de Dieu en personne, pensait-il. Bientôt, Makeda, la reine de Saba venue d'Abyssinie (ou du Yémen ?) a un enfant avec Salomon. Et après avoir fait ses études auprès de son père, leur fils Ménélik devient Ménélik Ier, roi d'Abyssinie.

    Quittons la Bible deux minutes pour jeter un œil sur le Kebra Nagast ("Gloire Des Rois"), un livre de littérature éthiopienne, aussi sacré qu'antique, qui retrace la saga de toute la dynastie salomonique. On apprend dans ce vénérable bouquin que l'héritier de Salomon, le prince Ménélik, aurait quitté Sion et qu'au passage il aurait carrément embarqué l'arche contenant les fameuses tables de la loi. Salomon aurait confié à Ménélik une réplique de l'arche pour qu'il l'emporte avec lui. Et ce dernier aurait échangé la réplique contre la vraie au dernier moment. Et ce bien sûr à l'insu des prêtres restés à Jérusalem. En arrivant en Ethiopie, Menelik fait du Dieu des Hébreux le Dieu officiel de l'Ethiopie : Saba. Il hébraïse le nord de l'Abyssinie entre 950 et 900 avant JC. C'est à cette époque qu'apparaîssent les Beta Israël, ces fameux Hébreux d'Ethiopie (la tribu de Dan ?) mieux connus sous le nom péjoratif de "Falashas" (appellation de "vagabonds" qu'ils récusent), les fameux Juifs noirs qui ont été sauvés de la famine dans les années 1980 en émigrant en catastrophe en Israël.

    Certains rois aussi étaient tout noirs. Comme par exemple Moutoueshat, un pharaon de la XXVème dynastie, venue d'Abyssinie entre 751 et 656 avant JC.

    C'est ainsi que la tradition éthiopienne considère que l'arche mythique est restée cachée depuis dans la région d'Axoum, au cœur des haut-plateaux éthiopiens, en Afrique noire. Le symbole de cent civilisations, que chante Cedric Myton dans Ark Of The Covenant, produit par Lee "Scratch" Perry pour l'album chef-d'œuvre "Heart Of The Congos" :

    "every morning the black sun rises
    it shines
    out of the Ark Of The Covenant
    "

    C'est encore pour cette raison que Lee "Scratch" Perry a appelé en 1973 son mythique studio le Black Ark, "l'Arche Noire". La plupart des Rastas jamaïcains, rarement experts en géographie, situent la terre promise de Sion ("Zion") sans vraiment faire de différence entre Jérusalem et Axoum, au nord-est de l'Abyssinie où se trouverait l'arche. Mais ils font confiance à l'histoire officielle éthiopienne et beaucoup sont persuadés que la Bible a été censurée pour cacher le rôle des Noirs. Beaucoup estiment que Moïse, Jésus et plusieurs tribus hébraïques étaient noires africaines.

    Quant aux descendants de Salomon, Makéda de Saba, et de leur fils Ménélik Ier, leur dynastie a perduré plusieurs millénaires en Abyssinie, alimentée par ce mythe fondateur de l'arche qui consacre -et comment- leur droit divin. La Bible se réfère d'ailleurs à l'Afrique noire toute entière par le terme d'Ethiopie, un mot qui désigne aujourd'hui un pays englobant toute la région de l'Abyssinie, le pays kouchite de la Bible.

    Chris Blackwell, fondateur des disques Island et Trojan, est le Jamaïcain blanc qui a lancé le reggae dans le monde. Extraordinaire découvreur de talents, féroce homme d'affaires, en investissant sur Bob Marley, dont il fut longtemps le producteur, il est devenu milliardaire. Et c'est avec son accent d'aristocrate anglais qu'il explique ceci :

    - "La véritable question en ce qui concerne Haïlé Sélassié et la religion rasta est qu'en occident, pour toutes les religions, qu'elles soient catholique ou autre, quand tu entres dans une église et que tu vois un crucifix, l'homme qui est dessus est blanc. Donc, au fond, Dieu était blanc. Tous les Noirs qui sont arrivés au nouveau monde y sont venus en tant qu'esclaves, donc ils n'avaient aucune connaissance de l'histoire. Pour eux, tout était blanc. Je pense que l'importance de Haïlé Sélassié, c'est qu'il était un descendant direct de Salomon et de la reine de Saba. Pourtant les rares fois où tu les voyais c'était quand des Blancs comme Jean Simmons ou Victor Mature jouaient leur rôle dans un péplum à Hollywood ("L'Egyptien", de Michaël Curtis en 1953). Tout le monde croyait donc que Salomon et Saba étaient blancs. Je crois qu'aujourd'hui de plus en plus de gens réalisent que ces vedettes de la bible n'étaient pas des Blancs. Qu'ils étaient des gens de couleur. Je pense que ce genre de choses sont très importantes pour les Noirs qui vivent en Occident. Car on n'enseigne pas cette histoire-là à l'école. On y apprend jamais l'histoire de l'Afrique."

    - Quelle importance cette histoire a-t-elle pour les Européens, et pour toi, en tant que personnage-clé blanc dans cette révélation rasta ?

    - "Je pense que c'est très important parce que c'est quelque chose qui je pense aide les Blancs en Occident à apprécier l'histoire du peuple noir au lieu de ne pas reconnaître qu'il a une histoire, au lieu de... ne même pas penser qu'il a une histoire. Au lieu de penser que l'Afrique n'est qu'une jungle qui a donné ces peuples. C'est vraiment très important. Et donc plus on va en parler mieux c'est, parce qu'on n'en parle pas beaucoup au grand public. Les gens ne connaissent encore aujourd'hui qu'une partie infime de l'histoire des Noirs."

     

    La dynastie du roi Salomon

    Encore dans la Bible, on trouve (2 Chroniques 14) les traces d'une invasion kouchite (abyssinienne) en Palestine cinquante ans après le règne de Salomon. Selon le voeu des Nazaréens (Nombres 6-5), les Juifs de la région laissaient pousser leurs cheveux (le "Tu ne passeras pas de lame sur les coins de ton visage" qui fait porter des papillottes aux Juifs orthodoxes), un signe d'appartenance à cette secte en quelque sorte. En poussant, les cheveux crépus s'emmêlent et forment naturellement des mèches ("locks"), des nœuds ("knot"). C'est pour suivre le vœu des Nazaréens que près de deux millénaires plus tard les Rastas se laissent pousser les cheveux, où se forment leurs nattes, qui "font peur" ("dread" = épouvante), les "dreadlocks" caractéristiques.

    C'est ce que racontera par exemple Dillinger (prononcer Dillin'JAH !) vers 1976 dans son King Paraoh Was a Bald Head. Il y chante que "Jésus et Moïse portaient des dreadlocks", tout comme "Samson, qui y puisait sa force" divine. Les cruels pharaons, eux, se coupaient bien sûr les cheveux. Ils étaient donc des "bald heads" (chauves) que chantait Marley dans son Crazy Bald Head : "On va chasser ces fous chauves hors de la ville". Ces chauves étaient donc des païens ("heathen"), d'où "Heathen", titre du morceau de Marley :

    "les païens ont le dos au mur
    Levez-vous combattants blessés
    Car celui qui se bat et fuit
    Vivra pour se battre un autre jour
    ".

    Quelques siècles après la mort de Jésus-Christ, certains voient en Jésus l'incarnation de Dieu sur terre et, en pleine décadence de l'empire romain, la religion chrétienne se répand comme une trainée de poudre. La propagation de la religion chrétienne en Éthiopie remonte sans doute à l'an 330, où deux jeunes chrétiens de Tyr naufragés en mer Rouge, Frumentius et Ædisius, sont capturés et vendus au roi d'Abyssinie. En fin de compte, Frumentius deviendra tuteur du prince, qui adopte la religion chrétienne. C'est sans doute comme ça que l'Abyssinie devient la première nation officiellement chrétienne du monde, avant Rome (l'empereur Constantin en 337). Le successeur décide d'ailleurs illico de persécuter ces maudits Juifs, puisqu'ils ne veulent pas (et ne voudront jamais) admettre que Jésus était le messie, c'est à dire Dieu sous des traits humains, préférant de Dieu une vision infinie et sans image. L'orthodoxie chrétienne d'Éthiopie, à ne pas confondre avec l'orthodoxie russe/grecque apparue au IXème siècle, reste intacte à travers les siècles. Le peuple copte la répand en Égypte et en Abyssinie, où le roi était considéré comme étant le troisième élément de la Trinité, l'incarnation vivante de Jésus Christ sur terre en quelque sorte. Les monophysites d'Abyssiniens n'avaient pas que des amis, et les schismes ont été bon train à cette époque. Les macédonianistes, par exemple, niaient carrément la divinité du St-Esprit (ça leur a coûté cher) et les Nestoriens, eux, considéraient que la nature humaine et la nature divine, c'était pas du tout la même chose (Jésus est le messie mais pas Dieu). Les Chrétiens étaient cependant tous d'accord sur une chose : il fallait réduire les Juifs blasphématoires au silence.

    Par la suite, avec l'expansion de l'islam au moyen-âge l'Abyssinie a été cernée par des hordes d'Arabes en guerre sainte, mais malgré des tas de batailles elle est restée chrétienne envers et contre tout. Au douzième siècle, la dynastie Zagwé locale a quand même pris le pouvoir pendant environ un siècle et demi. Mais avec l'aide du "Kébra Nagast" , le fameux livre sacré de la dynastie de Salomon, les Salomonides ont été restaurés vers 1270.

    L'esclavage

    L'Afrique toute entière, et les rivages de la mer Rouge en particulier, ont longtemps été le théâtre d'un esclavage institutionnalisé qui ne fait toujours pas mine de disparaître. L'Abyssinie n'a pas échappé à la règle. La société féodale du coin a puisé ses serfs dans les réserves humaines des vallées primitives à l'ouest du pays pendant des siècles. Mais au XVIème siècle, les Européens ont commencé à intensifier leurs achats d'esclaves. Ils se fournissaient surtout à l'ouest du continent, auprès des tribus esclavagistes des côtes. La traite des Noirs s'est développée du Sénégal à l'Angola actuels, et particulièrement sur les rivages qui portent le doux nom de Côte des Esclaves, au Nigéria, au Bénin, au Togo et au Ghana actuels, où la savane domine. Des membres des tribus Ewe, Fon, Ibo, Akan, Ga-Adangmé, Yoruba, Ashanti, "Kromanti" notamment ont ainsi été déportés par millions. Ils ont été mélangés à des Bantous venus du Congo et d'Angola et à des déportés originaires des forêts qui s'étendent à l'est de la Guinée et du Cameroun jusqu'au cœur de l'Afrique équatoriale. La seule résistance possible était la sauvegarde individuelle de leurs cultures désormais prohibées.

    La Jamaïque était un des principaux marchés aux esclaves du nouveau monde. Les lucratives plantations de canne à sucre nécessitaient beaucoup de main d'œuvre, et bientôt les négriers blancs ont eux-mêmes organisé d'ignobles raffles et chasses à l'homme en Afrique de l'ouest. Ce tragique épisode, le plus souvent refoulé par les Antillais du vingtième siècle qui préfèrent oublier, sera rappelé avec force par des Rastas comme Peter Tosh , Bob Marley ou Burning Spear (Slavery Days, 1975). Les tambours et les langues africaines étaient interdits en Amérique, comme tout ce qui pouvait inciter à l'unité et à la révolte des prisonniers. Les seules musiques autorisées étaient d'origine française, espagnole, et naturellement avant tout britannique et irlandaise dans la colonie anglaise de Jamaïque.

    Outre sa chrétienté historique si unique, l'Éthiopie est le seul pays d'Afrique noire à posséder une langue écrite, l'amharique, qui est dérivé du ghèze liturgique traditionnel. La culture d'Afrique de l'ouest est donc exclusivement orale, et le désarroi des travailleurs forcés était total. Mais leur déracinement absolu n'a pas empêché, comme en Guyane, à Haïti ou en Louisiane, que les rythmes au cœur de l'identité des tribus, des villages, ne se transmettent à l'insu des maîtres. Véritables cartes d'identité, ces rythmes étaient souvent à la base des chants des griots, des initiés, des conteurs chargés de transmettre l'histoire, la langue, les légendes et les anecdotes sur lesquelles se greffaient souvent des mélodies. Certains des traits les plus marquants des cultures africaines, comme les chants avec appel et réponse des chœurs (ou du public) ou la participation active du public ont ainsi tant bien que mal traversé les siècles aux Antilles. Et à force d'être opprimés, les Noirs ont aussi développé des langues à double sens que ne comprenaient pas les maîtres redoutés.
    On la retrouve dans toutes les cultures afro-américaines, du calypso des carnavals de Trinidad au blues du Mississippi, jusqu'au rock and roll de Little Richard ou Bo Diddley que reprendront Elvis Presley et autres Rolling Stones.

     

     

     

     

     

     

     

     

    JAH RASTAFARI

     

     

     

     

     

    Descendant, de la reine de Saba et du roi Salomon, dont il est le deux cent vingt-cinquième successeur, l’empereur d’Éthiopie Hailé Sélassié Ier (ou Haïla Sellassié) est à la tête de la plus ancienne dynastie du monde. Son titre complet est négus («roi des rois»), lion de Juda, défenseur de la foi chrétienne, force de la Trinité, élu de Dieu. Fils du Ras Makonnen, il a reçu pour nom à sa naissance celui de Ras Tafarí Makonnen (Tafarí : Celui qui est redouté) ; il est, en outre, le neveu de l’empereur Ménélik II, qui, au cours de son règne, commencé en 1889 et achevé à sa mort en 1913, accomplit les premiers pas vers la création d’un État unifié et moderne.

    Très tôt, le futur empereur s’initie aux responsabilités du pouvoir. Il a treize ans, en 1905, lorsque son oncle lui confie le gouvernement de la province du Gura Muleta. Sa volonté de fer, sa passion pour l’étude (il a été élève des missionnaires français) l’aident à surmonter les difficultés que lui suscite son cousin Lij Yassou ; celui-ci, héritier présomptif, complote avec l’Allemagne contre le pouvoir central. Mais il est bientôt écarté : en septembre 1916, c’est le ras Tafarí qui devient prince héritier. Il aide l’impératrice Zaouditou, sa tante, à administrer le pays (qu’on appelait alors plutôt l’Abyssinie). Considérant que «l’Éthiopie a reçu l’évangile du Christ en même temps que les nations d’Occident», le prince héritier plaide à Genève, en 1923, la cause de son pays. Il y déclare que, «si les hasards de la géographie et de l’histoire l’ont isolé du monde occidental pendant des siècles, il est cependant sensible à ses valeurs et entend remplir les mêmes devoirs à l’égard de la communauté internationale». Il obtient ainsi l’admission de l’Éthiopie à la Société des Nations et décide d’y abolir l’esclavage.


    Proclamé négus, en octobre 1928, sous le nom de Hailé Sélassié (force de la Trinité), il est couronné empereur à la mort de l’impératrice, le 2 novembre 1930, date devenue, depuis lors, jour de fête nationale. Il donne peu après au pays sa première Constitution écrite ; cette modernisation des institutions s’effectue toutefois avec prudence. Il n’hésite pas à solliciter, au fil des années, l’appui technique et financier de l’étranger. Lorsqu’en octobre 1935 le gouvernement de Mussolini décide d’envahir l’Éthiopie à partir de l’Érythrée et de la Somalie, l’empereur oppose une héroïque résistance à la tête de ses troupes. Mais il est desservi par un armement inférieur et la collaboration de certains seigneurs avec les Italiens. Il décide alors, en accord avec le Conseil des ministres et après avoir nommé un vice-roi (le ras Imrou), de s’expatrier ; en mai 1936, il se retire à Bath, en Grande-Bretagne. La même année, le 28 juin, il lance le fameux appel à la sécurité collective depuis la tribune de la S.D.N. à Genève, appel qui ne sera pas entendu (les sanctions contre l’Italie seront levées). Il entreprend quelques années plus tard la libération de l’Éthiopie : après avoir rallié les Éthiopiens réfugiés au Kenya et au Soudan, il vient à Khartoum en juillet 1940 (l’Italie vient de déclarer la guerre aux Alliés) et assure la liaison entre ses troupes et l’armée anglaise ; le 5 mai 1941, il fait une entrée triomphale dans sa capitale libérée par les brigades anglo-indiennes avec l’appui des Forces françaises libres.

    Dans son pays recouvré, Hailé Sélassié trouve tout à reconstruire, alors que l’élite éthiopienne a été décimée par l’occupation. Poursuivant inlassablement la mission qu’il s’était assignée alors qu’il était jeune prince, il entreprend de nombreux voyages à l’étranger. Devenu la figure de proue des pays opprimés, puis du Tiers Monde et de l’Afrique en particulier (l’Organisation de l’unité africaine créée en 1963, sur son initiative, a son siège à Addis-Abeba), Hailé Sélassié travaille sans relâche à parfaire et à affermir l’unité de l’Éthiopie (incorporation de l’Érythrée, consécutive à un vote unanime du Parlement de ce pays en novembre 1962 ; visées pacifiques sur le Territoire français des Afars et des Issas). Mais il a encore à faire face à de nombreuses difficultés.

    Si sa photographie et son nom sont partout dans le pays, si, même aux yeux de ses adversaires, il a conservé un grand prestige, l’empereur doit lutter contre l’aristocratie et le clergé pour leur faire accepter des innovations qui répugnent à leurs habitudes. Il réussit, certes, à centraliser entre ses mains le pouvoir, mais les propriétaires fonciers (dont il est matériellement solidaire) et l’Église restent les principaux obstacles aux initiatives de réforme qu’à son grand âge il pourrait encore décider.

    L’unité éthiopienne se trouve menacée par le Front de libération de l’Érythrée, qui dispute depuis 1961 la souveraineté à l’empereur. Celui-ci n’est certes pas prêt de renoncer à cette province du littoral, seule porte dont l’Éthiopie dispose pour ses échanges avec le monde extérieur. En dépit de toutes ces difficultés, Hailé Sélassié, dont le prestige international reste grand, s’est estimé capable, bien qu’octogénaire, de tenir encore longtemps la barre de son pays.

    En septembre 1974, l’empereur est destitué par des soldats et des sous-officiers. Il est assassiné par les rebelles le 27 août 1975.

     

     

     

     

     

    Le Rastafarisme

     

    La Jamaïque fut colonisée par l’Espagne au début du XVe siècle, puis, après le déclin rapide de la population indienne, des esclaves d’origine africaine furent massivement importés. En 1655, les Britanniques dépossédèrent les Espagnols de la Jamaïque qui y laissèrent leurs esclaves. Ceux-ci furent appelés "Marroons". Le terme "Marroon" prit la signification de "fier et sauvage" au fil du temps. Ainsi, les "Marroons" se dressèrent contre la domination britannique et menèrent une lutte acharnée.

    La lutte des "Marroons" ne doit pas être assimilée à une simple révolte d’esclaves. Sa durée dénote une volonté profonde de ne pas se plier à l’esclavage lié à la forte cohésion ethnique des rebelles. Les leaders venaient en effet d’une même tribu ghanéenne et le mouvement tenait donc à affirmer son identité africaine et son indépendance.

    Des formes de rébellion apparaissent et caractérisent la volonté de revendiquer une plus grande liberté à l’image de la "Sam Sharpe Rebellion" en 1831. Cette révolte menée par l’esclave Samuel Sharpe s’inscrit dans un contexte critique pour la population noire. En effet, ceux-ci commençaient à se rendre compte de leur situation socio-économique : les esclaves haïtiens étaient libres depuis 1815.

    Sam Sharpe était parmi les plus instruits et possédait une puissante influence charismatique. C’est en 1831 qu’il décide de prendre le commandement d’une grande rébellion qui devait conduire à l’abolition de l’esclavage.

    La rébellion débuta à la fin du mois de décembre à Montego Bay, une baie située au Nord-Ouest de la Jamaïque. Elle s’étendit rapidement à tout l’ouest du territoire et poussa les colons à la fuite. Au début de 1832, la loi martiale fut déclarée et des renforts de troupe envoyés. La révolte fut alors écrasée en quelques mois et Sam Sharpe exécuté à la fin du mois de mai. Ce combat conduisit tout de même à l’abolition de l’esclavage en 1834.

    Mais en 1865 un nouveau vent de révolte souffle sur la Jamaïque c’est la "Morant Bay Rebellion". Cette rébellion se caractérise par des causes directement liées à la révolte des "Marroons" dont la majorité étaient devenue planteurs après la fin de leur rébellion. Elle trouve d’autres fondements dans la situation des anciens esclaves, eux aussi en grande partie devenus agriculteurs. Or les inégalités subsistaient bien qu’ils fussent apparemment libres : mauvaise répartition des revenus, racisme envers les planteurs noirs.

    La rébellion prend forme et à l’automne 1865 elle explose à Morant Bay, au sud-ouest de l’île sous la direction de Paul Bogle. Mais le scénario de la "Sam Sharpe Rebellion" se répète : plusieurs centaines de paysans occupent des terres mais la révolte est rapidement matée et Paul Bogle pendu.

    C’est à travers des révoltes comme celles de "Sam Sharpe" ou de "Morant Bay" que s’est forgée la tradition de résistance à l’autorité du peuple jamaïcain que l’on retrouve dans le rastafarisme.

    La religion venue des Etats-Unis à travers des églises baptistes qui se sont implantées autour du milieu du XIXe siècle, ainsi le "Great Revival" a rapidement intériorisé les formes de religions d’origine africaine et est ainsi devenu un culte syncrétique (fusion de plusieurs doctrines) mélangeant christianisme et diverses autres pratiques.
    Les passages de la Bible sur l’Afrique et l’Ethiopie sont nombreux et peu à peu, à la lecture des textes sacrés, les regards se tournent naturellement vers l’Ethiopie : le rastafarisme est naissant.

    Le déclencheur de l’érection de l’Ethiopie en "Terre promise" est l’homme politique d’origine jamaïcaine Marcus Garvey qui dans un discours prononcé en 1916 avant son départ pour les Etats-Unis, prophétise l’accession au trône de Haïlé Sélassié Ier en évoquant le psaume 68 :

    « Des grands viennent d'Egypte et d'Ethiopie les mains tendues vers Dieu. Royaumes de la terre, chantez 0 Dieu, Célébrez le Seigneur! - Pause. Chantez à celui qui s'avance dans les cieux, les cieux éternels ! Voici, il fait entendre sa voix, sa voix puissante. Rendez gloire à Dieu ! Sa majesté est sur Israël, et sa force dans les cieux. De ton sanctuaire, ô Dieu! tu es redoutable. Le Dieu d'Israël donne à son peuple la force et la puissance. Béni soit Dieu ! »

    Haïlé Sélassié, Roi des Rois, Seigneur des Seigneurs, descendant du Roi David et donc de Dieu est ainsi annoncé en 1916 par Marcus Garvey. Haïlé Sélassié est proclamé négus en octobre 1928. Un autre fragment du discours de Garvey en 1916 le laisse aussi entrevoir : "Cherchez en Afrique le couronnement d’un roi noir, il pourrait être le Rédempteur."
    Le rastafarisme est avant tout une religion qui se caractérise par ses nombreux emprunts au christianisme auxquels sont ajoutés une mise en valeur de l’Afrique et particulièrement de l’Ethiopie considérée comme la terre promise et donc lieu de rapatriement de tous les rastafaris. C’est un culte messianique dont le centre est l’Empereur d’Ethiopie Haïlé Sélassié : la dernière réincarnation de Dieu sur Terre. Le prophète principal est Marcus Garvey, dont le second prénom, Mosiah, fait référence à Moïse, le prophète libérateur des Hébreux.

     

    Dans les années 30, le rastafarisme était encore peu connu mais le rôle de Marcus Garvey dans l’émancipation des Noirs d’Amérique a été majeur.
    L’Universal Negro Improvement Association (UNIA) est une organisation créée en 1914 en Jamaïque par Marcus Garvey et dont la devise était : "Un Dieu ! Un but ! Une destinée !". Ce mouvement s’est considérablement développé aux Etats-Unis après l’émigration de Garvey en 1916. En effet, en 1919, l’UNIA ne comptait pas moins de 30 branches dans différentes villes des Etats-Unis. Garvey affirmait avoir plus de 200000 membres. Il fonda également un organe de presse nommé The Negro World, dans lequel il déclara : "l’Afrique doit être vénérée et nous devons tous sacrifier, notre humanité, notre richesse et notre sang à sa cause sacrée."

    En valorisant la "négritude",
    Garvey a contribué à l’affirmation des noirs dans toute l’Amérique, au même titre que Martin Luther King ou  Malcom X.  Les conférences de l’UNIA de 1919 à 1922 connurent des grands succès populaires. Elles débouchèrent sur la création de firmes industrielles tenues exclusivement par des noirs et d’une compagnie de construction navale et de navigation réservées elles aussi aux noirs.
    A son retour en Jamaïque en 1927, il fut accueilli en véritable libérateur et tint une conférence de l’UNIA pour la première fois en Jamaïque en 1929.
    Son impact fut double : tout d’abord, son importance fit prendre conscience aux rastafaris de l’étendue de la lutte des noirs en Amérique pour s’affirmer et revendiquer des droits et plus de liberté ; ainsi, une autre solution que celle du rapatriement en Ethiopie apparaissait, même si cette idée n’allait vraiment se développer qu’au long des années 1950. La seconde conséquence de cette conférence fut de faire connaître Marcus Garvey à un grand nombre de jamaïcains et donc de contribuer à l’élaboration et à l’intégration de ses idées dans le rastafarisme.


    Ses thèses principales se définissent selon deux orientations :
    - La première, voir en l’Afrique la patrie de tous les noirs immigrés. Loin d’être un défenseur du rapatriement, Marcus Garvey a cherché à renouer des liens avec l’Afrique et à mettre l’accent sur la richesse de la civilisation africaine.
    - La seconde orientation principale des thèses de Marcus Garvey est la religion. Dans ce domaine aussi, il tient à rattacher le plus possible la Bible à l’Afrique, dans le but d’enlever aux blancs le monopole de l’enseignement religieux et pour donner à ses auditeurs le sentiment d’appartenir à un peuple élu et donc au-dessus de la domination des blancs.

    Marcus Garvey avait prophétisé le couronnement de Haïlé Sélassié, il devint ainsi le prophète de tous les rastafaris. Des thèses de Garvey sont intégrées à l’idéologie rastafari comme de saints commandements, tels l’affirmation des noirs par la revendication, la vénération de l’Ethiopie.
    Le mode de vie rastafari se veut respectueux des principes définis par la Bible. L’apparence extérieure des rastas le prouve. La majorité porte des nattes et une barbe. Dans la Bible, il est dit : Lévitique, 21:5 :"[…]les prêtres ne doivent pas se faire de tonsure, ni se raser la barbe sur les côtés, ni se faire des entailles sur le corps."

    Mais si certains rastafaris arborent des nattes (appelées dreadlocks) impressionnantes, il n’est pas rare de voir des rastafaris rasés. En outre, la Bible précise que cette coutume n’est obligatoire qu’en cas de deuil. Une autre justification de ces nattes est la volonté d’imiter les guerriers éthiopiens des siècles passés qui se caractérisaient
    par leur coiffure imposante du fait de leurs nattes tressées comme pour symboliser un casque.

    La sacralisation de l’Herbe est un point important de l’idéologie rastafari. La Ganja n’est utilisée que dans la pratique religieuse. On en trouve une justification biblique dans La Genèse : 3:18: "you shall eat the herb of the field" , mais aussi dans les Psaumes: 104:14: "C’est toi qui fait pousser l’herbe pour le bétail, et les plantes que les hommes cultivent ". Ou encore les Psaumes, 18:9 : "Une fumée montait de ses narines […]" Apocalypse, 22:2 : "[…] Ses feuilles [de l’arbre de la vie] servent à la guérison des nations."

    La visite de Haïlé Sélassié en 1966 est décisive dans le changement de cap de l’idéologie rastafari. En effet, les principes du rapatriement et du rejet de la Babylone jamaïcaine y restaient ancrés. Bien qu’elles ne fussent plus au premier plan dans les années 1960, des tentatives de rapatriement avaient été tentées jusqu’à la fin des années 1950. La visite de l’empereur d’Ethiopie en avril 1966 se solda par une dernière tentative de rapatriement. Mais ce n’était plus qu’un combat d’arrière-garde.
    Haïlé Sélassié dans un discours devant plus 10.000 adeptes proposa aux rastafaris : "la libération avant le rapatriement". Cela signifie que les rastafaris doivent libérer Babylone (le monde de l’oppression) avant de pouvoir espérer un repos mérité en Ethiopie.

    L’assimilation de la Jamaïque à Babylone reste présente dans le rastafarisme même dans les années 1960 et 1970, mais sous une autre forme. Ce n’est plus le pays tout entier qui est rejeté comme un lieu étranger; ce qui est dorénavant stigmatisé est la société jamaïcaine, du moins celle des possédants.
    De nos jours le rapatriement en Ethiopie n’est plus une priorité, seul le combat pour la liberté prime, le rastafarisme s’est répandu sur la planète entière et touche désormais toute les couches de la population même si il y a aujourd’hui beaucoup plus de sympathisants que de pratiquants.


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